Une Histoire d’Amour     Louise Alarie

 

Découvrez la créativité d’Éléonore (ou Épis de blé), sa vie et son amour pour Benjamin.


Suivez leur histoire, et celles de leurs parents, toutes aussi surprenantes les unes que les autres.


Plus de trois heures de récit captivant.

CHAPITRE DEUX


Un soir, alors que son père est absent, Benjamin écoute à la télévision, son émission préférée. Sophie prend la manette et change le poste. Étonné, Benjamin lui dit :


– Mais maman, c’est mon émission préférée que j’attends toute la semaine pour la regarder, laisse-moi la finir.


– Tu n’es qu’un enfant et ce n’est pas toi qui décide, je veux écouter mon Quiz et je vais l’écouter.


Furieux, Benjamin se lève pour répliquer, mais elle lui serre le bras à lui faire mal et redit :


– Ici, ce n’est pas toi qui décide.


Les yeux embués de larmes, il donne une secousse pour se faire lâcher et s’enfuit dehors. Il saute sur sa bicyclette et roule à toute vitesse en tentant de sécher ses larmes. Un peu plus loin, laissant sa bicyclette au bord du chemin, il grimpe les rochers qui le mènent sur un grand plateau, qu’il ne connaissait pas, sur lequel il y a des arbres, un sentier et une odeur de sapinage incroyable. Un peu plus calme, il s’assoit sur une grosse roche en mordillant une herbe. Un lièvre sautille au loin. Benjamin le regarde gambader et se dit :


« Elle ne voudra jamais de moi, c’est clair, elle a fait exprès de m’enlever mon émission, elle sait que je l’aime. Quand papa est là, elle n’ose pas, mais ce soir, elle l’a fait. Je n’aime pas cette femme, elle n’est pas ma mère et je… »


– Qui est-ce que tu n’aimes pas ? demande Éléonore en se plaçant devant lui.


Il sursaute, se croyant seul.


– Qu’est-ce que tu fais là ?


– J’écoutais mon émission préférée lorsque je t’ai vu t’enfuir de chez toi, alors je t’ai suivi. J’ai senti que quelque chose n’allait pas.


– Je comptais sur toi pour me raconter la fin de l’émission.


Elle hausse les épaules en disant :


– Dommage, nous ne la connaitrons pas, ni l’un ni l’autre. Pourquoi es-tu parti pendant l’émission ?


– Ma belle-mère a décidé qu’elle voulait écouter son Quiz et elle a changé le poste. J’étais furieux parce qu’elle n’a pas voulu attendre. J’étais si bien avec mon père avant qu’elle n’arrive dans notre vie.


– Elle est là depuis combien de temps ?


– Depuis huit mois.


– Seulement ! Laisse-lui le temps, elle n’a pas d’enfant et ne connait pas ça. Si tu veux que les choses marchent entre vous, tu dois te faire aimer d’elle.


– Mais comment ?


– En l’aimant, je crois.


– C’est compliqué d’aimer quelqu’un qui ne veut pas de toi.


– J’imagine, je n’ai jamais connu ça. Mes parents m’aiment naturellement, je ne sais pas comment il faut faire, si on le demandait à maman ?


Oh, le petit lièvre est là ! Viens, c’est mon ami. Sa mère me laisse le prendre lorsque je viens ici. Il est si mignon !


Intéressé, il suit Épis de Blé qui s’approche doucement du levreau, s’assoit non loin et attend qu’il vienne à elle, ce qui ne tarde pas à se produire. La petite bête sautille, se retourne comme si elle attendait l’approbation de la mère, et finalement se laisse flatter par la petite fille.


Ébahi, Benjamin tend la main à son tour, la mère surgit et lance un cri d’avertissement à son petit qui réagit sur le champ. Épis de Blé la rassure par des gestes lents et le bébé ne s’enfuit pas.


– Maintenant, tu peux le flatter, sa maman veut.


Benjamin caresse ses longues oreilles d’un mouvement doux et calme. Il retrouve sa joie de vivre et oublie la raison de son chagrin.


Une fois le levreau parti, les deux enfants descendent du plateau et prennent chacun leur bicyclette.


– Allons voir maman, et demandons-lui comment il faut faire. Elle seule peut nous aider.


Au moment où les gamins arrivent, Sophie, le voyant, l’appelle :


– Benjamin, rentre à la maison, je n’aime pas te voir trainer tout le temps dehors.


– Je ne traine pas, je vais chez mon amie !


– Non, tu rentres maintenant.


– Mais pourquoi ? demande-t-il, le cœur serré à nouveau.


– Parce que je t’ai dit de rentrer, c’est tout. Tu n’as pas d’explications à demander.


Il regarde Éléonore tristement, qui le regarde également tristement, et rentre.


– Benjamin, dit-elle, je vais te faire plaisir.


– Ah, oui ? répond-il plein d’espoir.


– Oui, tu aimes Montréal, j’ai décidé de t’envoyer en pension là-bas en septembre. Je t’ai inscrit dans une école privée, es-tu content ? Tu seras en ville comme tu le désires.


Benjamin la regarde, les yeux agrandis de stupeur. Il murmure :


– Non, je ne suis pas content, je ne veux pas aller en pension loin de mon père.


– Comme je t’ai expliqué tout à l’heure, ce n’est pas toi qui décide.


– Mon père refusera de me laisser partir. Nous n’avons jamais été séparés encore.


– Il y a un commencement à tout ! C’est une bonne nouvelle, tu recevras une bonne éducation et surtout, tu apprendras à obéir, c’est ce petit côté rebelle dont on doit s’occuper avant qu’il ne soit trop tard.


– Je n’irai pas, tout ce que tu veux, c’est te débarrasser de moi, jamais je n’irai en pension, jamais !


– Autre chose, je n’aime pas que tu m’appelles maman. Je ne suis pas ta mère et je ne le serai jamais.


– Je sais ce qu’est une mère même si je n’en ai jamais eu, et je sais que tu ne seras jamais la mienne. Je t’appellerai Sophie à l’avenir.


– Là, nous sommes d’accord pour une fois. Va dans ta chambre, je recommencerai à travailler la semaine prochaine et j’ai besoin de temps pour me préparer. Ton père ne reviendra que demain, alors tu te débrouilleras pour te faire à manger.


Benjamin, le cœur serré, entre dans sa chambre. Une peur viscérale s’empare de lui.


« Je n’irai pas en pension, je ne le veux pas. Si elle réussit à convaincre mon père, je me sauverai. Je ne veux pas, je ne veux pas, je ne veux pas, non, je n’irai pas. Oh, papa, on était si bien ensemble tous les deux, pourquoi as-tu marié cette méchante femme ?


Je sais ce que je vais faire, je vais en parler à Éléonore, elle trouvera une bonne idée, elle qui en a plein son sac. Elle ne veut pas que je sorte, mais j’ai un ordi, j’ai Skype, je vais l’appeler. »


Pendant ce temps, chez elle, Éléonore raconte à sa mère ce qui s’est passé entre la belle-mère et Benjamin.


– Dis, maman, comment mon ami peut-il régler son problème ?


– Il doit en parler jusqu’à ce que cela se règle, c’est lui qui doit prendre son courage à deux mains et le dire. S’il s’enfuit, il ne règlera jamais rien.


– Toi, tu ne peux pas faire quelque chose pour l’aider ? Cette femme ne l’aime pas, c’est difficile pour lui, tu comprends ?


– Oui, ce n’est pas facile pour un enfant de ne pas avoir de mère. Mais il n’en a pas, alors il doit trouver sa solution. Nous pouvons lui offrir notre affection, son père l’aime, toi tu t’en es fait un ami, tu sais, ma fille, il n’est pas abandonné, seul dans la rue. Tu ne dois pas t’apitoyer sur lui de cette façon.


– D’accord, maman, mais la méchanceté empêche souvent les gens de réagir. Elle paralyse, je l’ai déjà observé avec Pierre qui se fait toujours attaquer par son cousin. Il ne réagit pas, il fige.


– Tu n’as pas tort, c’est vrai que la méchanceté paralyse, mais es-tu sûre qu’elle soit méchante ? Elle est peut-être inexpérimentée, elle n’a jamais eu d’enfants et il lui en tombe un de huit ans. Pour elle, c’est un petit étranger.


–Toi, s’il était arrivé ici, tu ne l’aurais pas traité avec méchanceté, même s’il avait été un étranger.


– Toutes les femmes n’ont pas nécessairement des cœurs de mère !


– Je croyais que tu pourrais faire quelque chose pour lui.


– Je verrai lorsque les circonstances le permettront.


– D’accord, maman.


Éléonore, privée de la présence de son ami, va dans sa chambre. En entrant, elle voit qu’elle a un message sur Skype et ça clignote. Elle s’approche et lit. Voyant qu’il s’agit de Benjamin, elle s’assoit et tente de le contacter.


Il apparait sur l’écran.


– Ben, que se passe-t-il ?


– Elle a décidé de m’envoyer en pension à Montréal à l’automne. Je ne veux pas y aller. Elle cherche à se débarrasser de moi, c’est évident.


– Mais ton père ne la laissera pas faire ?


– Non, il ne voudra pas, mais elle va continuer à m’empoisonner la vie de plus en plus. J’ai décidé de ne plus l’appeler maman, elle est d’accord pour une fois.


– Comment vas-tu l’appeler ?


– Sophie, la méchante.


– Ben !


– Je vais l’appeler Sophie et dans ma tête, la méchante.


Les deux se mettent à rire.


– Si tu venais manger à la maison, ce soir, je suis sûre que maman voudra.


– Bonne idée, je ne sais pas comment me faire à manger, à part une tartine de beurre d’arachide ou des céréales, et elle refuse de m’apprendre.


– Elle ne te fait pas à manger ?


– Juste quand papa est là, sinon, elle ne m’en fait pas.


– L’as-tu dit à ton père ?


– Non ! Je me fais des céréales ou des tartines, je ne meurs pas de faim !


– Ce soir, elle sera là et elle ne te fera pas à manger ?


– Elle s’en fera pour elle seulement, mais je suis habitué, cela ne me dérange pas trop.


– Viens manger à la maison, maman va vouloir.


– Elle ne veut pas que je sorte.


– Viens quand même, ce n’est pas ta mère, elle n’a aucun droit sur toi.


– D’accord, je viens !


Il passe par sa fenêtre et saute les quelques pieds qui le séparent du sol et court vers la maison d’en face. En le voyant, Caroline l’invite à se joindre à eux.


– Mon mari va arriver d’une minute à l’autre, ensuite nous mangerons.


Une voiture se gare devant l’entrée.


– C’est papa ! s’écrie Éléonore.


Elle sort en coup de vent pour se précipiter dans les bras de son père.


– Papounet, je t’aime de tout mon cœur, tu es le meilleur papa au monde !


–Quel mauvais coup as-tu encore fait, Épis de Blé ?


– J’ai dit à mon ami de se sauver de chez lui parce que sa belle-mère le gardait prisonnier !


– Qu’est-ce que tu me racontes là ?


– C’est vrai, elle refuse de lui faire à manger lorsque son père n’est pas là, en plus, elle ne veut pas qu’il sorte de la maison et puis elle l’empêche d’écouter son émission préférée. C’est une méchante femme, elle ne l’aime pas et elle le bat !


– Donc, tu l’as incité à désobéir, c’est ce que j’ai compris, n’est-ce pas ?


La petite baisse la tête en répondant :


– Oui, papa.


– Bon, entrons voir un peu de ce qui est vrai de ton histoire d’horreur.


Il entre avec sa fille et aperçoit Benjamin,


– Bonjour, petit, ça va ?


– Oui, Monsieur.


Les deux enfants s’éclipsent dans la chambre en attendant l’heure du repas.


– Salut ma chérie !


– Bonjour, Richard, tu as eu une bonne journée ?


– Excellente, un contrat est tombé pile, nous aurons beaucoup de travail dans un futur immédiat.


– Hum, c’est bien, ça !


– Oui, en effet. Dis, que se passe-t-il avec Ben ?


– Il semble que sa belle-mère n’y tient pas trop. Elle refuse de lui faire à manger quand son père n’est pas là.


– Dommage, c’est un gentil petit gars !


– Oui, il l’est.


– Épis m’a dit que sa belle-mère le battait, est-ce la vérité ?


– Je l’ignore, j’espère que non. Épis a tendance à exagérer les choses, tu le sais aussi bien que moi.


– Ouais. Qu’est-ce que l’on mange ce soir ?


– J’ai fait un merveilleux roast beef comme tu l’aimes.


– Super ! Et le dessert ?


– Il n’y en a pas, je ne veux pas te voir grossir. Si tu grossis, je divorce !


– Wow ! Si tu crois que tu vas me priver de dessert, je te jure que je te divorce, moi aussi.


– Dans ce cas, il va nous falloir faire un compromis, j’en ai bien peur. Éléonore ne nous laissera jamais divorcer.


– Ça c’est sûr ! Viens ici une minute que je t’embrasse, toi, mon adorée. Tu es la femme la plus ravissante que je connaisse, je t’aime éperdument !


Elle lui sourit et se laisse prendre dans ses bras si chaleureux, si grands et si confortables.


– Laisse-moi finir de préparer le dîner, les enfants ont faim.


– Je vais faire un brin de toilette.


– D’accord.


Le repas est enfin prêt et les enfants sont assis, l’appétit aiguisé par l’odeur du roast beef. Leur assiette est remplie et ils se préparent à dévorer, lorsque Sophie frappe à la porte.


Benjamin se recroqueville en l’apercevant. Richard lui fait signe de rester calme et va ouvrir en disant :


– Il ne manquait que vous, venez vous joindre à nous pour partager ce succulent repas.


– Je vous remercie, mais je suis venue chercher Benjamin qui n’avait pas la permission d’être ici, dit-elle, le regard mauvais.


– Je comprends parfaitement, mais maintenant qu’il y est, laissez-le manger son repas qui est servi.


– Il n’en est pas question. Benjamin ! Tu retournes à la maison immédiatement, j’attends.


L’enfant jette un regard désespéré autour de lui, regarde son assiette si tentante, se lève, la tête basse, et sort sans prononcer une parole, suivi de sa belle-mère qui a à peine salué les gens.


Stupéfaits, les voisins en perdent l’appétit.


– Je vous ai dit qu’elle était méchante, vous ne m’avez pas crue, déclare Épis de Blé.


– J’ignore si son père est au courant de la façon dont elle le traite ?


– Maman, il te faudra lui dire parce que sinon, cela va empirer pour lui. Elle a décidé de l’envoyer en pension à Montréal pour ne plus l’avoir dans les jambes.


– Écoute, nous surveillerons cela de près, mais les parents doivent pouvoir régler leurs problèmes entre eux.


– Mais maman, si le père ne le sait pas, il ne pourra rien faire.


– C’est à Benjamin de lui dire, c’est ton rôle à toi de lui faire comprendre cela, puisque tu es son amie.


...