Le pilote
 

Visite des dames aux prisonniers



Cependant, les trois matelots occupaient trois cellules qui donnaient sur un même couloir, dans lequel se promenait une sentinelle. Le colonel alla retrouver Borroughcliffe et lui annonça qu'au lieu de passer la soirée chez ces dames, ils la finiraient tête à tête en buvant un verre de madère.


Le capitaine accepta volontiers cette modification, et ne quitta son hôte que lorsque l'horloge de l'abbaye eut fait entendre autant de coups qu'elle pouvait en sonner à la fois. Monsieur Christophe Dillon ne fut pas de la partie. Suivant le récit d'un domestique, il s'était rendu au village voisin pour se rapprocher du rendez-vous de chasse, où il voulait être à la pointe du jour.


Pendant que les deux buveurs vidaient leurs verres et parlaient des campagnes d'autrefois, deux scènes très différentes se passaient dans d’autres parties de la maison. Sitôt que le calme de l’abbaye ne fut plus interrompu que par les hurlements du vent et les rires du couple joyeux, une porte s'ouvrit doucement, et Catherine Plowden en sortit  enveloppée d'une mantille et tenant à la main une lanterne sourde, qui jetait une faible clarté sur les murs d'en face.


Elle fut suivie de deux autres femmes vêtues de la même manière et pourvues également de lanternes. Lorsqu’elles furent toutes les trois dans la galerie, Catherine referma doucement la porte et s'avança la première.


— Silence ! murmura Cécilia d'une voix tremblante, on est encore levé dans les autres parties de la maison, et si vos prévisions sont fondées, notre visite peut causer la perte des prisonniers.


— Ne reconnaissez-vous pas les rires du colonel Howard en belle humeur ? dit Catherine. Oubliez-vous d'ailleurs que le vin ne lui laisse guère l'usage de ses oreilles.


— Nous nous embarquons dans une dangereuse entreprise, dit Alice Dunscombe, mais vous êtes jeunes et vous êtes crédules.


— Si vous désapprouvez notre visite, reprit Cécilia, elle ne saurait être excusable et nous ferons bien de retourner sur nos pas.


— Notre démarche me paraît plus imprudente que coupable. Ce ne peut être sans dessein que Dieu a mis entre nos mains le sort d’hommes qui nous sont chers. Conduisez-nous, Catherine, il faut en tout cas éclaircir nos doutes.


L'ardente jeune fille n'attendit pas une seconde injonction, elle alla jusqu'au bout de la galerie, descendit un étroit escalier et se trouva sur une pièce de gazon qui séparait la maison du jardin d’ornement.


Les trois femmes la traversèrent en cachant leurs lumières et en se courbant pour éviter les bouffées de vent glacial que leur envoyait l’Océan. Elles arrivèrent à un bâtiment d’une architecture simple, caché derrière les parties plus achevées du vieil édifice. La porte massive était ouverte à deux battants.


— Chloé a exécuté mes ordres, dit Catherine. Maintenant si tous les domestiques sont endormis, nous sommes certaines de ne pas être aperçues.


Il fallait traverser une antichambre où il n'y avait qu'un vieux noir qui, après avoir placé son oreille à peu de distance d'une sonnette, s'était endormi du plus profond sommeil. De cette chambre, nos dames entrèrent dans des couloirs qui n'étaient connus que de Catherine, montèrent au premier étage et s'arrêtèrent pour examiner les obstacles qu'elles pouvaient rencontrer.


— Nous allons échouer au port, dit Catherine, le factionnaire est dans le couloir, au lieu d'être sous les fenêtres, comme je l'avais espéré. Que faut-il faire  ?


— Retournons sur nos pas, dit Cécilia. Quoique mon oncle soit sévère envers moi, j’ai sur lui quelqu’influence, demain matin, je tâcherai de le décider à les délivrer, en exigeant d'eux la promesse qu’ils n'entreprendront plus rien de semblable.


— Demain il sera trop tard, repartit Catherine, j'ai vu ce coquin de Christophe monter à cheval, sous prétexte d'aller rejoindre la chasse. Mais, au regard qu'il m'a lancé, j'ai jugé qu'il avait d'autres intentions. Si demain Griffith est dans ces murs, il sera condamné à périr sur l’échafaud.


— Il suffit, dit Alice Dunscombe avec une émotion singulière, le hasard peut nous favoriser, approchons.


À peine eurent-elles fait quelques pas, que la sentinelle cria : Qui vive  ?


— Il n'est plus temps d'hésiter, dit Catherine, et elle ajouta à haute voix :


Nous sommes les maîtresses de la maison et nous vaquons à nos affaires domestiques. Il est singulier que nous soyons exposées à rencontrer des hommes armés dans notre propre domicile  !


Le soldat présenta respectueusement les armes et répondit :


— Mesdames, j'ai ordre de garder les portes de ces trois chambres, nous y avons des prisonniers. Mais en toute autre chose, je suis disposé à vous servir de tout mon pouvoir.


— Des prisonniers ! s'écria Catherine avec une feinte surprise. Le capitaine Borroughcliffe a-t-il la prétention de transformer en prison l'abbaye de Sainte-Ruth. De quel délit ces pauvres gens sont-ils coupables ?


— Je l'ignore, madame. Mais, comme ce sont des matelots, je suppose qu'ils se sont enfuis de quelque vaisseau.


— Pourquoi ne les envoie-t-on pas à la geôle du comté. II faut examiner cela, dit Cécilia. En ma qualité de maîtresse du logis, j'ai droit de savoir ce qui s'y passe. Ayez donc la complaisance de m'ouvrir les portes, dont je vois les clefs suspendues à votre ceinturon.


Le factionnaire hésita. Il était interdit par la présence et la beauté des dames, mais une voix intérieure lui rappelait ses devoirs. Néanmoins une idée subite le tira d'embarras et le disposa à se conformer aux sollicitations ou plutôt aux ordres de miss Howard.


— Voici les clefs, madame, lui dit-il. J’ai ordre d'empêcher les prisonniers de sortir, mais on ne m'a pas défendu de laisser entrer chez eux. Lorsque vous leur aurez rendu visite, veuillez me remettre ces clefs. Ne restez pas longtemps, ne fût-ce que par égard pour les yeux d'un pauvre diable. Car je ne saurai où les diriger pendant cette entrevue, à moins que vous ne fermiez les portes.


Cécilia se disposait d'une main tremblante à ouvrir les chambres lorsque Alice Dunscombe la retint.


— Vous dites donc qu'ils sont trois. Sont-ils avancés en âge ? demanda-t-elle au factionnaire.


...

Les Américains contre les Anglais. En Angleterre, et sur mer cette fois..


Batailles navales, prisonniers et prisonnières, intrigues amoureuses, différences de point de vue, coulage d’un bateau, etc.


Voilà ce qui vous attend dans ce roman historique.


Le pilote, ce personnage mystérieux, sauve les équipages à quelques reprises.


Découvrez ces histoires d’un autre temps qui ont pourtant existé. Vous apprécierez !


Fénimore Cooper est aussi l’auteur du Dernier des Mohicans, La Prairie, L’Ontario et bien d’autres.