ouananiche

 

Laurence Billaud

Suite à un drame survenu dans votre vie, auriez-vous décidé, vous aussi, de vous en aller dans un autre pays ? C'est ce que Sophie a fait en laissant Paris pour traverser l'océan pour la première fois. L'annonce du journal disait : « Aventure assurée et rencontres authentiques dans un des plus beaux paysages du Canada. Venez au Lac-Saint-Jean ! ».


Elle était donc partie avec sa peine et ses secrets, espérant les oublier pendant quelques semaines. Or, il y a un jour où il faut y faire face et Michaël, son guide musher, n'est peut-être pas celui qui sera le plus conciliant. Sans le savoir, elle prenait enfin son destin en main et celui de plusieurs autres personnes inconnues jusqu'alors.

LA RANDONNÉE


    C’était le deuxième jour du voyage. Le vent griffait son visage. Ses yeux la brûlaient. Devant, le traîneau avait accéléré l’allure, après le repos bien mérité de midi. Le petit camp ne se trouvait plus qu’à quelques encablures, juste après le lac. Cette traversée angoissait Sophie. Pourtant, elle savait que Michaël avait vérifié sa solidité en ski-doo la semaine dernière. De plus, les températures polaires qu’il avait faites depuis plusieurs jours auraient dû la rassurer sur la solidité de la glace.


– Hooooo !


    Les chiens s’arrêtèrent. Le traîneau de tête s’était immobilisé. Michaël poussait de gros jurons qui auraient fait sourire la jeune française si elle n’avait pas été si nerveuse.  Deux arbres barraient la piste.


– Il faut faire un détour.


    Cela leur prit un quart d’heure. Sophie était de plus en plus angoissée. Sa confiance disparut lorsque Michaël s’avança sur la surface gelée en lui recommandant de suivre sa trace. Elle s’y aventura à contrecœur.


    Les chiens ajustèrent leur cadence à celle du meneur. Les patins se recouvrirent rapidement de neige mêlée à l’eau, mais ils filaient bon train sur la glace. Sophie essaya de détacher son regard du sol, en vain. Elle avait un mauvais pressentiment qui persista lorsqu’un craquement sinistre rompit la mélodie du vent. Effrayée, elle lâcha prise. Son corps bascula brutalement en arrière et l’eau glacée s’infiltra à travers les vêtements.


*****


    Dès qu’il s’était aventuré sur le lac, Michaël regretta sa décision. Il était réputé pour sa difficulté. Un courant imprévisible rendait la surface fragile et la couche de neige, qui la recouvrait, ne permettait pas de l’identifier.


    Lorsqu’il avait entendu la glace se rompre, son cœur avait cessé de battre. Il avait vu sa compagne disparaître dans la noirceur du lac. Il avait arrimé les traîneaux et avait couru jusqu’à elle, une corde à la main. Le temps, dans ce cas-là, était un facteur décisif dans la survie de l’individu. Il en avait manqué pour son père et ne voulait pas que cela se reproduise aujourd’hui. Il rassembla toutes ses forces et se laissa glisser sur la glace.


    Il jeta la corde vers la jeune femme en criant à se faire éclater les poumons :


– Sophie, nage. Monte sur la glace !


– Peux pas...


– Tabarnak ! Oui TU LE PEUX ! BOUGE-TOI !



    Ses forces faiblissaient.


Je vais mourir...


    Elle ferma les yeux et entendit au loin la voix impérieuse de son compagnon. Une brûlure sur la joue la réveilla.


– Attrape la corde et tiens toi !


    Le corps anesthésié, elle s’agrippa avec ses dernières forces à la corde et comprit qu’il l’avait sorti du trou lorsqu’elle se sentit rouler dans la neige. Les mains de l’homme la recouvraient de neige puis frottaient la pellicule blanche. L’opération se répéta plusieurs fois. Elle se laissa faire incapable de bouger.


– La neige absorbe l’humidité, répétait-il en s’agitant.


    Il lui enleva ses moufles puis ses bottes et la déposa sur le traîneau avant de l’enrouler dans plusieurs couvertures. Il détacha l’un des chiens et le coucha contre le corps grelottant.


– Reste !


    Le chien regarda son maître, et comme s’il comprenait la gravité de la situation, se colla contre la jeune femme.


    Michaël attacha le deuxième traîneau au sien puis ordonna le départ. Heureusement, le petit camp n’était qu’à cinq minutes de cadence rapide.


    De son poste, Michaël ne pouvait pas voir le visage de Sophie. Cela l’angoissait. Il fut soulagé quand elle bougea cherchant la tiédeur du chien. Dès que les rondins de bois furent visibles, Michaël avait déjà établi la liste des priorités : allumer le poêle, la déshabiller, mettre de l’eau à chauffer et s’occuper en vitesse des chiens. Il gardait toujours, dans les camps, deux combinaisons de ski-doo, au cas où. L’une d’elle pourra aller à Sophie. Son cerveau travaillait rapidement l’empêchant de penser au pire...


    Sophie était aux frontières de l’inconscience. Quand elle se sentit déposer sur un canapé, elle sut qu’elle était en sécurité.


– Ne pars pas, supplia-t-elle.


– Chut, je vais juste allumer le poêle.


    Elle ferma les yeux. Tout allait bien maintenant, mais elle avait si froid. Tout son corps était engourdi, ses pensées aussi. Elle dut s’endormir, car il ne lui resta qu’un vague souvenir de Michaël la déshabillant et aucun de son regard compatissant à la vue des anciennes brûlures.


*****


    Un rayon de soleil se faufila pour aller caresser les dormeurs. Sophie perçut une pointe de chaleur sur la joue et un poids qui la maintenait contre un vieux canapé sentant le moisi. Elle se remémora lentement les événements.


Si je suis en vie, c’est grâce à lui.


    D’une main hésitante, elle caressa les cheveux de l’homme endormi contre elle. Michaël se réveilla immédiatement. Il la détailla, passa une main sur le front de sa compagne et constata que la température était tombée. Il se leva pour faire repartir le poêle.


   ...