120 ans de remords
120 ans de remords
Marcel Robillard
Découvrez ce qu’est un plongeur professionnel et un chercheur de trésor. Permettez- vous de lire son histoire qu’on peut maintenant voir régulièrement au canal D.
Voyez aussi ce qu’il a pu découvrir qui a changé sa vie à jamais. Peut-être changera-t-elle la vôtre ?
Chapitre VII
...
Le lendemain, je replongeai afin de ramasser des vestiges de cuivre et de bronze, mais je ne pouvais pas rester longtemps sous l’eau à cette profondeur. Un bain de deux heures, au large de Terre-Neuve, et on devient gelé comme une banquise. N’oubliez pas que, lorsque nous restions quarante-cinq minutes à cent vingts pieds de profondeur, il nous fallait prévoir trente minutes de décompression avant de remonter à l’air libre. La période de décompression nécessaire était trop longue pour le type de combinaison et de matériel que nous avions avec nous. Le bateau n’était pas doté d’une chambre de décompression où nous aurions pu nous y astreindre, au sec. Nous devions procéder à la décompression sous l’eau, au fil de la remontée, et s’il advenait un incident, la chambre de décompression la plus proche se trouvait à Halifax, en Nouvelle-Écosse.
Un jour que j’effectuais la décompression, à environ dix pieds sous la surface, une méduse m’érafla les joues de ses longs tentacules chevelus. Ma peau brûla d’un feu violent, mais j’étais cloué sur place ; impossible de passer outre les vingt-cinq minutes de décompression qui restaient.
Ce même après-midi, je redescendis afin d’entrer dans la cabine de pilotage avec mes bouteilles. Je me trouvais à environ cent pieds de profondeur. J’avais l’intention de découvrir le coffre-fort. Je suis resté coincé à trois ou quatre reprises dans les décombres. En franchissant le seuil de la cabine, je me suis heurté à l’embrasure de la porte ; ensuite, des câbles électriques s’accrochèrent à mon détendeur, et lorsque je voulus descendre l’escalier, une poutre de fer me barrait le chemin. J’ai dû la dégager. Elle retomba et je me suis retrouvé prisonnier entre elle et l’escalier. Après m’être dégagé, j’avançai à tâtons dans la pénombre, à la recherche du coffre, étant donné que je n’avais qu’une petite torche électrique en ma possession. Je ne l’ai jamais repéré. Sous le coup de la colère, je suis sorti de la cabine en me disant, que la prochaine fois, je descendrai deux caisses de dynamite pour la faire sauter au complet !
Nous avons poursuivi notre itinéraire et nous sommes rentrés au port de Saint-Jean pour vendre les métaux, acheter des vivres et du matériel de plongée. Durant le peu de temps que nous avons passé dans la capitale, un pêcheur nous a parlé d’un sous-marin qui avait coulé dans la baie Freshwater, non loin de l’entrée de Saint-Jean. Sur ses indications, nous nous sommes mis à la recherche du submersible à l’aide d’un grappin et d’un sondeur. Au milieu de cette baie, l’eau atteint d’impressionnantes profondeurs. Nous avons sondé le sol de presque toute la baie, durant deux jours. Souvent, le grappin s’accrochait au relief sous-marin, mais la plupart du temps, nous ne remontions que des roches.
Il est difficile de repérer un sous-marin, car sa forme sphérique trompe la vigilance du sondeur ; le plus souvent il ne détecte qu’une forme s’apparentant à un gros rocher. Au contraire, la forme d’un bateau, elle, est plus facilement repérable.
J’aurais aimé trouver ce sous-marin, car je n’en avais jamais exploré. Une rumeur voulait que l’équipage de ce submersible allemand ait sabordé le navire pour éviter de rentrer à Hambourg, préférant l’exil en Amérique du Nord à l’Allemagne hitlérienne. Les sous-mariniers auraient transité par Terre-Neuve. Mais explorer l’épave d’un sous-marin ne va pas sans risque, car un tel navire est souvent piégé. En effet, un sous-marin est en général programmé pour exploser si quelqu’un tente d’y pénétrer par infraction, après qu’il se soit échoué. J’étais bien conscient de ce danger, mais me connaissant, je m’y serais risqué tout de même.
Des épaves près de la baie
de Bell Island
Ensuite, je me suis dirigé, en compagnie de deux autres plongeurs, en l’occurrence mon ami Guy Gerbeau et Adolf Men, un Allemand très adroit, vers une épave qui comptait cent vingt canons. Le naufrage devait remonter aux années 1750. Les pêcheurs connaissaient bien l’endroit, car ils y venaient « pêcher le doublon», ainsi qu’ils le disaient d’un ton plaisantin. Chacun sait qu’un doublon est une monnaie d’or espagnole.
L’épave du galion longeait la falaise escarpée, par quarante-cinq pieds de fond. Ses débris jonchaient le sol sur une superficie d’environ mille pieds. En un endroit, j’ai aperçu près d’une quarantaine de canons de calibres différents, entassés dans un fatras indescriptible. Les boulets se comptaient par milliers au fond de la mer.
Un doublon et une pièce de huit réaux (Espagne)
En creusant les crevasses, j’ai trouvé quantité de petites munitions de plomb de forme sphérique, qui servaient à l’époque des grands explorateurs. À l’intérieur de l’épave, nous avons mis au jour beaucoup de porcelaines fracassées. Il y avait là de véritables trésors archéologiques, qui auraient fait la joie d’un conservateur de musée, mais je n’avais pas le temps de m’attarder à ces babioles.
Il me fallait vite gagner de l’argent pour couvrir les dépenses de l’entreprise : mille gallons de diesel dans le réservoir du bateau, l’huile, l’essence, la dynamite, les victuailles et le salaire des membres de l’équipage. Chacun touchait un pourcentage du bénéfice de la vente des métaux repêchés, et les payes étaient parfois aussi maigres que la morue que nous mangions.
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Souvent, l’aventure ne rapportait aucun bénéfice, mais là n’était pas l’important à mes yeux. Je m’adonnais à mon occupation préférée, je partais à l’aventure quand bon me semblait, j’y entraînais mes amis. En ce sens, j’étais un homme heureux.
Si ma vie de plongeur était fascinante, je ne pouvais en dire autant de ma vie familiale. Je privais ma femme et ma fille de tout le temps que je passais en mer. Et le peu de temps où j’étais à la maison, ma femme m’adressait de doux reproches. Elle disait que j’étais présent de corps, mais absent d’esprit. Ma femme ne parlait que l’anglais et j’éprouvais de la difficulté à lui communiquer les nuances de ma pensée dans cette langue. De plus, je n’avais qu’un sujet de conversation : les navires échoués remplis de trésors. Guère passionnant pour une femme, alors que moi, je ne pensais qu’à cela et ne vivais que pour ça. Il n’y avait pas de place pour autre chose.
Alors que ma passion virait presque à l’obsession, je me suis interrogé sur les raisons qui pouvaient expliquer cet engouement. J’ai commencé à me demander si j’avais fait autre chose dans mes vies antérieures, sinon être chasseur de trésors ! J’en rêvais du matin au soir. Je menais une vie rude, mais saine. Jamais de stupéfiants, très peu d’alcool.
Il fallait garder la forme pour plonger et veiller à préserver l’acuité des réflexes. J’étais habité par un désir inexplicable mais combien présent : il me fallait coûte que coûte retourner sur les lieux du naufrage de l’Anglo-Saxon. Son épave provoquait en moi de l’effroi. Une angoisse étouffante me saisissait dès que j’en approchais, et cette réaction était aussi irrationnelle qu’incompréhensible. Dès lors que cette peur me remuait les entrailles, elle s’incrustait en moi et ne me quittait plus.
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Nous sommes retournés dans l’épave du galion coulé en 1750 afin de ramasser des souvenirs qui intéressaient les autres plongeurs, après quoi notre travail fut terminé. Il se peut que cette épave renferme plein de trésors, mais je n’avais pas assez de temps ni d’argent à lui consacrer. Je crois que des plongeurs qui s’en donneraient la peine, durant l’été, alors que la mer est plus calme, trouveraient une grande quantité de doublon. (Ceux qui voudraient obtenir les coordonnées géographiques exactes de cet endroit n’ont qu’à communiquer avec moi à l’adresse qui paraît à la fin de cet ouvrage. Les pêcheurs le désignent sous l’appellation officieuse de Dublon Pool, non loin de Saint-Jean.)
Un canon extrait d’une épave
par Marcel Robillard et exposé
à l’hôtel Battery, à Saint-Jean
Nous avons quitté Saint-Jean pour nous diriger vers l’épave d’un voilier, le Hammer Sealer, qui a sombré en 1852. Ce naufrage avait laissé deux survivants et fait trente-sept morts. Un pêcheur m’avait précisé sa position, aux alentours de cap Broyle. Nous suivions les indications pour nous rendre à cet emplacement. Alors que nous longions la côte, j’ai demandé au capitaine d’immobiliser le navire, car je pouvais apercevoir, sous la surface miroitante des eaux, des pièces de ferraille entre les rochers.
Nous avons jeté l’ancre et j’ai plongé. Il me fallut peu de temps pour localiser l’épave du voilier et l’examiner. L’hélice était cassée en deux morceaux de six cents livres chacun. Je suis remonté au bateau, puis je suis redescendu vers l’épave pour attacher une pièce, ensuite l’autre. Les hommes les hissèrent depuis le pont du bateau et les sortirent de là. Je recueillis environ deux mille livres de métaux de cette épave, après quoi nous avons repris notre route. Il nous restait quatre autres épaves à explorer, dont deux que nous ne trouverions jamais.
Sur la côte terre-neuvienne, entre Saint-Jean et St. Shott’s, j’ai plongé pour explorer environ trois cents épaves, mais c’est peu comparativement à toutes celles qui s’y trouvent. Je crois qu’il a plus de mille bateaux qui se sont échoués au large de cette côte, depuis le XVIIe siècle.
Je suis convaincu que des centaines de trésors sont enfouis dans cette zone. Souvent, des pêcheurs nous rendaient visite à bord, car ils connaissaient la nature de nos activités. Je jouissais d’une certaine notoriété dans les environs de Southern Shore, où les nouvelles se propageaient à la vitesse du vent. Les pêcheurs connaissaient l’emplacement des bateaux échoués. Leurs filets s’accrochaient souvent aux épaves, ce qui pouvait s’avérer dangereux pour les plongeurs, dont les bouteilles se prenaient dans les mailles. Plus d’une fois, j’ai dû m’en dégager avant de pouvoir remonter à la surface.
Je partis à Renews passer quelques jours chez moi, auprès de ma femme et de ma fille Susan. Elles habitaient une maison mobile isolée pour l’hiver. J’y passai quatre jours en leur compagnie, et je plongeai dans les alentours vers d’anciennes épaves qui ne présentaient aucun intérêt à mes yeux.
Aujourd’hui, je ferais certaines choses différemment ; par exemple, je plongerais avec une caméra. Mais il en était autrement en 1971. Je me lançais dans une grande aventure. Aujourd’hui, je souhaite que le gouvernement de Terre-Neuve érige un musée dans lequel on présenterait les remarquables richesses que les eaux territoriales renferment. N’oubliez pas que de nombreux trésors ont jadis été immergés par des colons ou des pirates, en temps de guerre.
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Je suis Québécois, mais une partie de mon âme est terre-neuvienne. J’aime ces gens, comme s’ils faisaient partie de ma famille, et je me sens vraiment chez moi là-bas. Ils sont chaleureux, souriants et ils s’intéressent à vous. Ils sont toujours prêts à vous donner un coup de main. Ils m’ont toujours considéré comme l’un des leurs. Ce sont les gens les plus aimables que j’aie rencontrés.
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