Picounoc le maudit

 

D’honnêtes fermiers, vivant leur jeune histoire d’amour.


Des amis, bien différents les uns des autres, entourent ce foyer heureux.


Un malheur, une disparition et tout est chamboulé.


Auriez-vous agi comme eux dans de pareilles circonstances ?


Suivez ces personnages attachants dans leurs aventures réciproques, vous aimerez !

Un trouble-fête



Animés par le désir de sauver leur compatriote et par le besoin d'échanger quelques coups de feu avec de vieilles connaissances, les trappeurs canadiens s'élancèrent sur les traces des Couteaux-Jaunes. Ils marchaient depuis trois heures environ, quand ils entendirent des cris de joie.


— Je ne les croyais pas si proches, dit le grand-trappeur, et, s'ils n'avaient pas eu le bon esprit de crier, nous aurions eu l'imprudence d'arriver au milieu d'eux le fusil au repos ou le pistolet dans la ceinture. Marchons avec précaution, et voyons s'ils gagnent la rivière.


— Oh yes ! Je les entends. Do you hear ?


Entendamus omnes... répondit l'ex-élève.


Le grand-trappeur éprouvait toujours une émotion soudaine quand l'ex-élève improvisait son latin. Il souriait d'une façon mélancolique. Les autres riaient de bon coeur.


— Doublons le pas, dit-il, si c'est possible, et devançons-les en gagnant directement l'embouchure de la rivière Claire.


Quelques heures plus tard, les quatre trappeurs arrivaient au bord de la rivière Athabaska, un peu en bas de l'endroit où elle reçoit, dans son onde vaseuse, les flots limpides de la rivière Claire.


Ils remontèrent jusqu'à une anse qui s'enfonce de plusieurs arpents dans la forêt, et paraît enlacée par deux bras énormes, deux pointes de rochers recouverts de sapins rabougris. Au fond de l'anse, une grève de sable fin borde la rivière. C'est une retraite superbe que tous les chasseurs ne connaissent point.


Les Couteaux jaunes et les Flancs de chiens, la connaissaient bien, car ils s'y étaient surpris tour à tour. Le grand-trappeur n'ignorait pas non plus, son existence. Il divisa en deux sa troupe de quatre guerriers. L'ex-élève et Félix eurent ordre d'attendre, blottis derrière un rocher, sur l'un des bras qui ceignaient la petite baie.


Et l'anglais et le chef passèrent de l'autre côté où le danger devait être plus grand, si les indiens arrivaient — comme cela était probable — en côtoyant la rivière. Le grand-trappeur choisissait toujours le poste le plus périlleux. Les Couteaux-jaunes approchaient traînant leur victime. Déjà les blancs entendaient au loin le bruit de leur marche.


— Guerriers, arrêtez, ordonna le chef.


La troupe fit cercle autour du renégat.


— Votre chef est brave, et vous le savez. Il ne craint pas la mort, ni les supplices qui la précèdent. Mais il est prudent, et ne veut pas inutilement exposer ses guerriers. Les bois sont remplis d'ennemis, et les blancs que j'ai fuis parce qu'ils sont lâches et menteurs, courent en tous sens sous ces forêts immenses. Ils se cachent partout pour vous surprendre et verser votre sang.


Il faut donc se montrer plus habiles qu'eux-mêmes. Nous allons faire le festin sur la grève de sable, au pied du rocher, au bord des eaux claires de la rivière. Mais nous ne descendrons pas tous ensemble. Dix d'entre vous resteront sur la côte et feront sentinelles. Ils auront leur part du banquet, et assisteront au supplice du prisonnier.


Les guerriers firent un murmure approbateur. Les dix choisis pour monter la garde sur le bord de la baie restèrent en arrière, et les autres descendirent sur le rivage. Le grand-trappeur voyait bien, de sa cachette, la grève et les sauvages. Il les compta.


— Quinze guerriers, à part les femmes, murmura-t-il, la troupe s'est donc divisée ! Qui sait leur dessein ? Ils nous ont entendu peut-être, et peut-être nous devinent-ils. Nous avons voulu les surprendre, et nous sommes peut-être tombés dans leur piège.


Les sauvages se mirent à courir de ça et de là. Les uns ramassèrent du bois et allumèrent un grand feu, juste au pied du rocher où se trouvait caché le grand-trappeur, les autres firent la pêche.


Baptiste le prisonnier les suivait d'un oeil indifférent. On ne pouvait pas lire le désespoir sur sa franche figure brune. De temps en temps, il regardait le rocher comme s'il eut pressenti ou deviné qu'un ami se tenait là pour le protéger. Il avait toujours les mains liées derrière le dos, et deux guerriers se tenaient auprès de lui pour le surveiller.


On fit rôtir le poisson frais en le fixant au bout de broches de bois, puis le festin commença, largement arrosé d'eau de feu.


Le prisonnier ne put s'empêcher de regarder avec envie le repas frugal. Et la senteur de la truite dorée à la braise flattait bien agréablement son odorat, mais agaçait fort son estomac depuis longtemps vide. Le chef s'en aperçut, prit un poisson brûlant et s'approcha de lui :


— Mange, mon cher ami, mange vite et beaucoup, dit-il, car c'est ton dernier repas.


Le prisonnier, essayant d'éviter les attouchements brûlants de la truite, se tournait la tête en tous sens, mais c'était inutile. On ne le laissa en paix que lorsqu'il eut la bouche toute enflammée. Les sauvages riaient et battaient des mains.


Le grand-trappeur voyait tout, et la colère s'allumait dans son âme. Un instant, il prit sa carabine pour viser le renégat, mais un bruit de pas se fit entendre auprès de lui. Alors déposant son arme, il se blottit le long du rocher. C'étaient deux sauvages qui venaient regarder ce qui se passait en bas.


— Si l'on voit bien tu me le diras, Nid d'écureuil, et j'irai à mon tour, fit l'un des indiens.


— Oui, Vent qui souffle, je te le dirai.


Et Nid d'écureuil se glissa le long de la roche moussue et couverte de sapins.


— Oh ! oh ! commença-t-il...


Il n'acheva pas. Une main vigoureuse le saisit à la gorge et le coucha sur le lichen. Il se tordit comme un serpent dont on écrase la tête, et son fusil lui échappa. Ses bras se raidirent et ses poings fermés essayèrent de frapper l'ennemi qui le tenaillait ainsi, mais rien ne put faire desserrer les doigts musculeux du grand-trappeur.


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