Forestiers et Voyageurs
Forestiers et Voyageurs
Forestiers et Voyageurs
Soirées Canadiennes
Joseph-Charles Taché
Peu de populations présentent, dans leurs caractères typiques, plus d’intérêt que la population française des bords du Saint-Laurent.
Parmi les types qui se sont ainsi développés, celui du Forestier, à cause même du caractère de nos grands bois canadiens, est nécessairement un des plus curieux à étudier.
Mais il en est un autre plus curieux encore, parce qu’il semble résumer tous les autres, c’est celui du Voyageur.
Voici un extrait :
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Voyageur, dans le sens canadien du mot, ne veut pas dire simplement un homme qui a voyagé. Il ne veut même pas dire toujours un homme qui a vu beaucoup de pays. Ce nom, dans notre vocabulaire, comporte une idée complexe.
Le voyageur canadien est un homme au tempérament aventureux, propre à tout, capable d’être, tantôt, successivement ou tout à la fois, découvreur, interprète, bûcheron, colon, chasseur, pêcheur, marin, guerrier. Il possède toutes ces qualités, en puissance, alors même qu’il n’a pas encore eu l’occasion de les exercer toutes.
Selon les besoins et les exigences des temps et des lieux, il peut confectionner une barque et la conduire au milieu des orages du Golfe, faire un canot d’écorce et le diriger à travers les rapides des rivières, lacer une paire de raquettes et parcourir dix lieues dans sa journée, porté par elles sur les neiges profondes.
Il sait comment on prend chaque espèce de poisson dans chaque saison. Il connaît les habitudes de toutes les bêtes des bois qu’il sait ou poursuivre ou trapper. La forêt, les prairies, la mer, les lacs, les rivières, les éléments et lui se connaissent d’instinct.
Le voyageur canadien est l’homme aux expédients, par excellence. Aussi, est-il peu de situations qui le prennent au dépourvu.
Il partira volontiers pour le fond de la baie d’Hudson que pour le golfe du Mexique, pour la chasse aux loups-marins dans les glaces de l’Atlantique, que pour la chasse à la baleine dans les eaux du Pacifique.
Rarement, cependant, il laissera sa paroisse avec l’intention de ne pas y revenir tôt ou tard. Quand il prend congé de ses proches et de ses amis, son dernier mot est toujours : « la revue ! Que Dieu vous conserve jusqu’à ce que je revienne ! »
Les voyageurs canadiens ont découvert ou parcouru tout le nord de l’Amérique, des bouches du Meschacébé à celles du Mackenzie, de Terre-Neuve à Quadra et Vancouver. Ils ont battu leurs briquets et allumé leurs feux sur tous les points de ce vaste continent, et traversé pendant plus de deux siècles les pays de chasse de toutes les tribus sauvages.
Le Père de Smedt, ce voyageur du Bon Dieu, raconte qu’il était un jour arrivé, d’aventure, dans un des endroits les plus écartés et les plus sauvages des montagnes Rocheuses.
À l’aspect des lieux, il se croyait bien le seul homme de race blanche qui eût foulé les rochers et les mousses de ce quartier désolé du nouveau monde, lorsque la fumée d’un campement, apparaissant à peu de distance devant lui, attira ses regards et ses pas.
C’était le campement d’un voyageur canadien, qui reçut le missionnaire comme un vrai Canadien reçoit toujours ceux qui sont chargés de porter la Bonne Nouvelle.
Le Père de Smedt, après avoir décrit cet incident de ses voyages, s’écrie : « Et dans quel endroit du désert les Canadiens n’ont-ils pas pénétré ! »
Le voyageur canadien est catholique et français. La légende est catholique et le conte est français. C’est assez dire que le récit légendaire et le conte, avec le sens moral comme au bon vieux temps, sont le complément obligé de l’éducation du voyageur parfait.
Je suis, moi aussi, avant tout catholique, un peu voyageur et beaucoup canadien. J’ai campé sur les bords de nos lacs et de nos rivières. J’ai vécu avec les hommes de la côte et de la forêt, avec les sauvages. J’ai recueilli plusieurs de leurs récits, et je les écris pour tâcher de faire qu’on puisse les lire quand on ne pourra pas les entendre raconter.
Ces légendes et ces contes, dans lesquels les peuples ont versé leur âme, avec lesquels ils ont cherché à satisfaire, dans certaines limites, ce besoin du merveilleux qui est le fond de notre nature. Ces souvenirs réels ou fictifs, attachés à tel ou tel endroit de chaque pays habité, constituent une portion notable, le fonds on peut dire, de toute littérature nationale.
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