L’Enfer et le paradis de l’autre monde
 

S’installer dans le Nouveau Monde avec le but d’une meilleure vie ne s’avère pas toujours ce à quoi on s’était attendu.


Suivez les aventures de cette famille qui débarque à Toronto, à une époque difficile pour tous.

Sommaire


Prologue

Préface

Le foyer du colon

Une partie de la famille

Les autres membres de la famille

Pauvreté et manque d’ouvrage

La maison abandonnée

Le départ

Madeleine

Un autre foyer

Les bien nantis discutent

Un autre foyer - Nouveaux malheurs

La recherche - Le mauvais chemin

Justice intolérante - Un autre anneau

Tristes propos - Justice professionnelle

Les nouveaux venus - Fleesham déconfit

Le champion du peuple et le philanthrope

Notre dernier chez nous - Quel contraste

Des livres captivants

Mot de la fin




Note à propos de la couverture : L’image représente des personnages arrivant dans la nouvelle contrée du Canada

de ewissembourg.com



Madeleine



Pauvre Madeleine, elle avait l'esprit bien en désordre, et le coeur bien gros, allez, quand, durant cette funeste nuit, elle quitta le misérable appentis qu'on appelait leur maison.


Le temps était calme, clair, le froid piquant. La lune versait sur Toronto les rayons de sa molle lumière. Au firmament brillaient les étoiles comme des milliers de perles à une coupole de saphir.


La neige criait âprement sous le pied. C'était une poétique et sereine nuit, toute remplie de beautés solennelles. Si belle que fût pourtant cette nuit, elle n'avait aucun charme pour Madeleine. Son front était baigné de sueur, ses yeux étaient brouillés et ses oreilles tintaient.


Machinalement, elle s'arrêta une fois encore sur le seuil de la porte, hésita, puis, prenant une sorte de décision, elle examina les environs, comme pour y chercher quelqu'un qu'elle s'attendait à voir.


Mais il n'y avait personne.


Madeleine parut désappointée. Elle se retourna vers la porte, passa la main sur son visage brûlant, secoua la tête, tira de son corsage la lettre qu'elle y avait glissée, la parcourut d'un clin d'oeil, la replaça dans son sein, et relevant le bas de sa robe, s'élança en avant.


Mais à peine eut-elle fait quelques pas, que sa course fut arrêtée comme par une main invisible.


Madeleine revint devant la porte de la hutte, tomba à genoux dans la neige et murmura d'un ton saccadé, en se tordant les mains :


– Ô ma mère, ma pauvre mère, pardonnez-moi, pardonnez-moi ! J'essaye de faire de mon mieux. Vous êtes si malheureuse et je puis vous être utile… Vous me pardonnerez tous, n'est-ce pas ?


Son élan de douleur monta dans l'air pur. La lune sembla pâlir et les étoiles se voiler de pitié, car rarement leur veille silencieuse avait été troublée par un pareil accent d'angoisses, échappé à des lèvres aussi belles.


Se levant ensuite, insensée, demi-folle, la jeune fille reprit sa course.


Elle vola longtemps sur la blanche neige, passa le long des pauvres cabanes se dressant ça et là comme des spectres de mauvais augure, qui tous parlaient de détresse et de désolation.


Mais les propres pensées de Madeleine étaient trop vives pour qu'elle songeât à la misère d'autrui. Et elle fuyait, fuyait, les yeux baissés devant elle, craignant jusqu'à son ombre.


Arrivée à l'emplacement découvert, connu sous le nom de Cruikshank Lane, elle fit une pause, regarda comme si elle avait peur d'être suivie.


N'apercevant rien, elle se retourna, et frémit à la vue de la légère trace que ses pieds avaient laissée sur la neige. Ses hésitations la reprirent.


Elle joignit convulsivement les mains, leva vers le ciel des yeux humides, et pendant quelques moments, ne sut si elle devait ou non continuer.


Une exclamation jaillit de sa bouche. Et la pauvre enfant affolée se remit à parcourir aussi rapidement qu'elle pouvait la plaine de neige.


Alors elle se dirigeait vers une petite cabane à demi ruinée, que l'on distinguait à quelque distance du chemin.


C'est ainsi que nous fascine un charme étrange quand nous sommes au bord du gouffre. C'est ainsi qu'aveugles nous nous précipitons à notre perte. Qu'est-ce alors qui nous pousse ? Quel est ce vertige qui nous saisit et nous entraîne ?


Vous qui n'avez jamais senti l'influence de son infernal pouvoir, comment pourriez-vous dire ce que c'est ? Comment pourriez-vous donner un remède à l'infortuné séduit, enivré, arraché à l'innocence et à la vertu par le poison subtil de son haleine ?


L'édifice vers lequel Madeleine portait ses pas était une vieille masure en bois, toute décrépite, abandonnée depuis longtemps, et dont les grenouilles, les chauves-souris et les oiseaux nocturnes avaient fait leur palais.


Les fenêtres étaient défoncées, le plafond effondré, et une partie de la charpente avait été enlevée pour réchauffer les tristes foyers du voisinage.


La lune et les étoiles pénétraient librement dans le local, dont le sol était perdu sous une épaisse couche de neige et où il n'y avait aucun signe de vie à ce moment, car le froid avait tué les grenouilles et chassé les oiseaux de nuit.


Arrivée près du bâtiment, Madeleine jeta un coup d'oeil inquisiteur autour d'elle. Satisfaite sans doute de son examen, elle entra, s'assit sur une poutre renversée, enfonça son visage dans ses mains et donna cours à ses cuisants chagrins.


Bientôt de chaudes larmes filtrèrent entre ses doigts et tombèrent glacées sur sa robe.


Au bout de quelques minutes, le son d'un pas frappa l'oreille de la jeune fille.


Elle se leva en sursaut, allongea timidement la tête par une ouverture, et voyant qui approchait, se réfugia promptement dans le coin le plus obscur de l'édifice.


C'était un jeune homme, grand, mince, et suivant toute apparence, bien proportionné, quoiqu'il fût enveloppé de fourrures et d'un lourd pardessus qui déguisaient presque complètement ses formes.


Il vint droit à l'entrée de la cahute, plongea ses regards à l'intérieur, et ne découvrant personne à cette première inspection, laissa échapper un murmure de désappointement.


Il allait même se retirer, quand un second coup d'oeil lui montra la tremblante jeune fille qui se tenait appuyée contre un poteau.


– Eh ! Est-ce vous, Madeleine, ma belle ? fit-il d'une voix doucereuse, efféminée, en s'avançant les bras étendus vers elle. Allons, allons, charmante, approchez. C'est moi ! Pourquoi si sauvage ?


– Non, non, monsieur. Non, je vous en prie ! s'écria la jeune fille le repoussant avec effroi.


Il recula de trois ou quatre pas, apparemment surpris par cette réception, et resta quelques secondes sans parler.


– Qu'est-ce donc, Madeleine ? dit-il enfin. Et qu'êtes-vous venue chercher ici, si vous avez peur de moi ?


– Oh ! monsieur, reprit-elle en sanglotant et s'enfonçant plus avant dans l'ombre, je vous ai dit ce qui m'amènerait, lors même que vous devriez me tromper. Ma mère, ma pauvre mère et ma soeur… Voulez-vous les aider, dites, le voulez-vous ? Vous me l'avez promis, monsieur.


– Les aider, sans doute. Vous pouvez y compter, ma bonne fille, ne vous l'ai-je pas dit ? Je leur donnerai tout ce dont elles auront besoin. Dites-moi ce que c'est, enfant, et elles l'obtiendront. Nous les rendrons heureuses, ma Madeleine, parce que nous voulons que vous soyez heureuse. Allons, venez mignonne, vous leur porterez vous-même quelque chose ce soir, ajouta-t-il en se rapprochant.


Mais elle s'éloigna encore tout intimidée et en disant d'une voix émue :


– Oh ! Vous ne me trompez pas. Vous ne voulez pas me tromper, n'est-ce pas, monsieur Grantham ? Vous ne voudriez pas vous jouer d'une pauvre fille comme moi ?


Son geste et le ton de sa voix eussent touché un démon. Mais les vices d'un libertin n'entendent ni ne voient.


Le démon peut être pris de pitié, mais les passions humaines exigent leur assouvissement !


– Vous tromper, mon ange ! D'où vous vient cette idée ? Non, Madeleine, par tout ce qui m'est cher, jamais si noire pensée n'est entrée dans mon esprit !


En prononçant ces mots d'un air de tendresse parfaitement simulé, il lui prit les mains, et la regardant avec cette expression d'intérêt que seuls savent prendre les hypocrites, il ajouta :


– Venez, mon enfant. Vous êtes toute glacée. Il ne fait pas bon pour votre santé de rester ici. Venez ! Voyez, est-ce possible de sortir comme ça, à demi vêtue, par un pareil froid ! Ah ! Madeleine, c'est là une imprudence que je ne devrais pas vous pardonner. Méchante enfant, elle grelotte. Mais prenez donc ce pardessus. Il vous réchauffera au moins un peu.


Ôtant un de ses vêtements, il le lui jetait en même temps sur les épaules.


Madeleine se laissa faire machinalement, car ce secours lui arrivait à propos.


D'ailleurs, il était accompagné de paroles si tendres qu'elles auraient séduit même une femme plus expérimentée.


Pauvre victime, ta jeunesse, ton innocence et ta crédulité sont autant d'armes contre toi pour ce comédien aussi adroit que débauché. Ta conquête sera digne de toi, car tu n'as point d'armes à ton service.


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