Nikanor
 

En Russie, un prêtre doit être marié avant de pouvoir pratiquer dans une cure.


Suivez la vie de ces attachants personnages, à qui il arrive plein d’évènements. Vous aimerez !

Sommaire



Introduction

La propriété du comte Batounine

Le jeune Nikanor

Son entrée au séminaire

Moine ?

L’ours

La rencontre

Jeune adulte

La tâche du prêtre

Parties puis de retour

Réflexions

Que se passe-t-il avec Lydia ?

Convaincre Lydia

La vie continue

Le mari de Lydia se pointe

Il réussit un sermon qui touche

Une veuve plus heureuse

Agathe ne va pas bien

Quel sera son choix ?

Des gens les rejoignent

On grimpe

Remarier Nikanor ?

Comment faire ?

En retraite

Le sortir de sa torpeur

Une santé chancelante

Conclusion



Moine ?



– Monsieur le comte, dit le père Fadeï, je vous demande pardon d'être venu déranger Votre Altesse, mais la chose est d’urgence.


– Parlez, mon révérend, parlez ! répondit Batounine en regardant par la fenêtre, d'un air distrait.


C'était un paysage de Noël tout blanc de neige. Les sapins du parc s'alignaient comme des mages revêtus de robes traînantes, leurs grandes branches étendues sur le sol, avec une majesté vraiment impériale. C'étaient les gardes du tsar Hiver, qui régnait au dehors sans conteste.


– Voici, dit le père Fadeï en tirant son mouchoir à carreaux, voici que notre Nikanor va avoir 21 ans…


Batounine tressaillit et ramena vers le prêtre son regard presque agressif.


– 21 ans ? Vous en êtes bien sûr ?


– Que Votre Altesse compte elle-même, dit le vieillard humblement.


Le calcul fut vite fait. Oui, en effet, vingt et un ans... Était-ce possible ! Ce temps avait paru si court au diplomate ! Il se regarda dans la glace.


21 ans ! Et tout à coup il vit les rides de son visage. Les unes petites, imperceptibles, fines comme des plis dans une soie légère; les autres profondément creusées, comme des ornières dans lesquelles le char de la vie aurait passé et repassé.


Il vit ses cheveux, tout à fait blancs, cette fois, sur les tempes, et gris sur le haut de sa tête, où ils croissaient en belles mèches encore souples... Il vit ses yeux bleus, cerclés de bistre, au-dessus des joues amaigries, son sourire devenu sardonique et railleur, maintenant que la finesse de l'homme qui veut plaire n'en atténuait plus l'expression dédaigneuse.


Il se vit tel qu'il était aujourd'hui, et par une brusque évocation du passé, il se revit tel qu'il était le jour où, dans son vozok, il avait emporté son enfant nouveau-né... Qu'y avait-il donc entre ces deux périodes de sa vie, qui lui semblaient tout à l'heure se fondre l'une dans l'autre ?


Il y avait les 21 ans de Nikanor.


– C'est parfaitement exact, dit Batounine avec effort, comme s'il revenait de très loin... De très loin, en effet, car il revenait de sa jeunesse. Eh bien, Nikanor ?


– Nikanor termine ses études en juin prochain, Votre Altesse. Et puisqu'il doit embrasser l'état sacerdotal, il faudra songer à le marier.


Oui, le marier. C’était tout simple.


Il fallait le marier pour qu'il pût être prêtre. Il ne pouvait pas recevoir les ordres sacrés sans cette autre consécration du mariage. Ainsi l'exige l'Église orthodoxe, qui veut que le prêtre, ayant tout connu, puisse tout comprendre, et qu'il soit père dans le sens le plus large de ce mot.


Une révolte d'orgueil éclata dans le coeur de Batounine. Marier son fils ? À qui ? À une fille de prêtre, selon la coutume inévitable. Quelle fille de prêtre serait assez bonne pour lui ? Il était de sang noble, Nikanor, par son père et par sa mère... Il n'allait pas épouser une plébéienne, au moins !


Le visage de Batounine exprima quelque chose de sa pensée, car il avait été pris au dépourvu. Le vieux prêtre s'en aperçut et ajouta respectueusement :


– Nous n'aurions pas osé nous occuper de cela nous-mêmes, puisque monsieur le comte est le parrain et le protecteur de Nikanor…


Batounine avait repris son sang-froid.


– Pourquoi donc pas, mon révérend ? Ce jeune homme est votre fils…


Les yeux des deux hommes se rencontrèrent, et c'est le père Fadeï qui baissa les siens.


– C'est à vous de lui choisir une épouse digne de lui. Mais je comprends que vous ayez songé à me consulter. La chose en vaut la peine. Avez-vous jeté les yeux sur quelqu'un ?


– Pas encore... nous ne nous serions pas permis…


– C'est bien, père Fadeï. Nous avons le temps. Je verrai. J’en parlerai à l'archevêque. Il faudra aussi savoir ce que souhaite Nikanor. Votre fils aîné est-il heureux dans son ménage ?


– Voilà trois ans que mon fils aîné s'est installé dans la paroisse que vous avez bien voulu obtenir pour lui, monsieur le comte... Il est heureux avec sa femme et ses deux enfants... Je regrette qu'il ne soit pas resté ici pour prendre ma place. Mais la loi s'y opposant…


– La loi est sage, père Fadeï. Il ne faut pas que le fils succède à son père dans une paroisse, cela ferait de petites dynasties... Ce serait un péril social…


Le vieux prêtre, effaré, n'avait pas l'air de représenter un péril social. Très modeste, presque craintif, doux comme un agneau, simple d'esprit et de coeur, il se faisait tout petit pour ne gêner personne.


Batounine avait eu un trait de génie lorsqu'il avait choisi cet homme pour lui donner son fils. Il le comprit et fut touché de cette honnêteté qui n'avait jamais permis au pope de soupçonner qu'avec un peu d'astuce et d’aplomb, il eût pu tirer du comte une fortune facile.


– Je ne parle pas pour vous, mon père, dit le grand seigneur avec l'affabilité qu'il savait montrer à l’occasion. Mais les hommes de bien tels que vous sont rares dans toutes les situations. Je suis heureux de vous rendre cette justice. Nous ferons donc pour le mieux. Quand Nikanor doit-il revenir chez vous ?


– Pas avant le mois de juin, Votre Altesse. Et pourtant…


– Quoi donc ?


– J'aurais aimé que Votre Altesse le vit auparavant…


– Qu'y a-t-il ? fit le comte en fronçant le sourcil.


– Je crois..., je crains qu'il n'ait dans l'esprit quelque chose... qu'il ne veut pas me dire…


– Quelque chose de mal ?


– Oh ! non ! Que Votre Altesse voie elle-même.


– Parlez, père Fadeï, – il faut parler, ordonna Batounine.


– Eh bien, je crains qu'il ne veuille entrer dans le clergé noir.


– Nikanor ? Moine ! Ah ! non ! je ne veux pas ! Moine ! Voilà une idée !


Batounine s'était levé et marchait à grands pas. Fadeï semblait se recroqueviller sur lui-même, dans la terreur que lui causait cette explosion, qu'il avait pourtant prévue.


– D'où cela lui est-il venu, à ce garçon ? Ce n'est pas naturel qu'on veuille se faire moine à 20 ans, quand on peut être heureux…


Le prêtre ne disait rien et semblait regarder en dedans de lui-même.


– Oui, vous me direz : Affaire d'éducation... Mais vous n'êtes pas moine, vous ! Il a été laissé en pleine lumière, en pleine liberté ! On ne l'a pas…


Batounine s'arrêta devant le père Fadeï.


– Où est-il en ce moment ?


– Au séminaire, Votre Altesse.


– Peut-il venir me voir ?


– Si Votre Altesse l'exigeait... sans doute... mais…


– C'est bon. J'irai. J'irai demain. Moine ! 


– Et si pourtant c'était sa vocation ? dit timidement le vieux pope.


– Sa vocation ? La vocation d'un homme, père Fadeï, c'est d'être un homme ! C'est d'être marié, heureux, d'avoir des enfants, de devenir ensuite quelque chose s'il le peut... C'est entendu, n'en parlons plus. Aviez-vous autre chose à me dire ?


Fadeï s'en alla humblement et rentré chez lui, dit à sa femme :


– Je n'avais jamais vu le comte en colère, mais quoiqu'il n'ait guère crié, je crois qu'aujourd'hui il a eu le sang joliment retourné !


Le lendemain, en effet, Batounine partit pour la ville où se trouvait le séminaire.


C'était un long voyage, et le froid étant intense, il eut un instant l'idée de commander le vozok. Le vozok ! oui ! le vieux vozok, dédaigné sous la remise où il sentait plus que jamais la moisissure et l’oubli.


C'en était fait, Batounine était vieux. Les 21 ans de son fils lui étaient tombés lourdement sur les épaules, et le vozok qui avait protégé jadis la faiblesse du nouveau-né convenait maintenant au père âgé, mordu parfois d'une attaque de goutte et dont les rhumes prenaient souvent l'importance d'une bronchite. Vieux !


Tout l'amour-propre de Batounine se révolta. Point de vozok ! Le traîneau léger, qui vole sur la neige, enlevé par son attelage de trois chevaux qui semblent ne faire qu'un seul oiseau énorme, ailé, comme Pégase.


Mais les cochers firent des remontrances. Par ce froid, la nuit, un voyage de 18 heures ! Et Batounine se résigna au vozok.


Quels souvenirs l'assaillirent durant cette longue course ? Il n'en dit jamais rien à personne. Mais lorsque, arrivé à K..., il descendit devant l'hôtel, son valet de chambre fit intérieurement la remarque que M. le comte avait l'air bien fatigué.


Une heure après, Batounine entra au séminaire. Après un court entretien avec le directeur, il vit entrer un jeune homme élégant et selle, un peu plus grand que lui-même, et dont la barbe naissante floconnait autour d'un visage admirable.


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