La mémoire du coeur

 

Éternel célibataire, avide de pouvoir et orgueilleux, Guillaume Cloutier est un homme dont l'enfance difficile l'a forgé en adulte égocentrique et l'a amené à se battre chaque jour pour maintenir son indépendance.


Flatté par son succès social d'aujourd'hui, il se croit invincible.


Mais sa vie bascule quand il est confronté à la maladie, à la faiblesse, à la dépendance : pour survivre, il doit subir une greffe de coeur.


Il perd totalement le contrôle sur sa vie et suite à sa transplantation, d'étranges rêves et sensations le troublent.


Le monde de l'invisible s'invite maintenant dans son quotidien.


Définitivement, il deviendra différent, mais est-ce en mieux ou en pire ?


Saura-t-il trouver un quai avant de sombrer ?

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Un coeur de pierre



Jeudi 19 février, 10h30. Québec.


Je me suis toujours senti différent. J'ai souvent réalisé que je ne pense pas comme tout le monde et que j'ai des désirs et des rêves autrement plus compliqués que la plupart des gens. Je me donne l'impression d'être un peu comme un mercenaire.


Je refuse d'être soumis à des règles et je ne respecte pas vraiment les façons de faire habituelles. Plus souvent qu'à mon tour, je me considère un peu délinquant.


J'ai un caractère de chien. Je ne me prends pas pour de la merde ! Et j'ai pour principe : ce qui ne rapporte pas, n'a pas lieu d'exister. Je n'ai plus de famille. Mes employés et mes collègues ne m'apprécient pas vraiment. Et je m'en fous.


J'ai côtoyé la petite criminalité dans ma jeunesse. J'ai « surfé » très souvent sur le fil ténu du légal. Aujourd'hui, j'ai quitté ce monde, mais je reste délinquant dans l'âme.


Monsieur Madame Tout le Monde espère toujours des protocoles, des règlements, des lois. Ça les rassure, je pense. Moi, c'est tout le contraire. J'en ai horreur ! Toutes ces conventions ne me sont absolument pas nécessaires. Et elles m'énervent au plus haut point.


Ce que je souhaite, c'est gagner. Gagner à tout prix. Et pour ce faire, je n'ai pas de remords d'utiliser la ruse, la frime et même le mensonge si c'est nécessaire. L'important, c'est le résultat. Mais je privilégie l'originalité et j'essaie de trouver des façons différentes d'intervenir sur les événements.


Ma grande force, c'est cette immense facilité d'adaptation à toutes les situations et ma grande rapidité à retomber sur mes pieds.


Je sais que je ne suis pas facile à vivre. J'ai toujours organisé ma vie pour que je sois d'abord servi en premier. Car depuis la mort de mes parents, tous les deux enfants uniques, à titre d'orphelin et seul au monde, j'ai été trimballé dans plusieurs familles d'accueil et ce que j'ai vécu n'a pas toujours été très rose. J'ai dû prendre ma place et m'imposer.


Je m'appelle Guillaume Cloutier, j'ai 37 ans et je suis propriétaire majoritaire de la compagnie paysagiste l'Oeil vert. Mes partenaires sont aussi mes amis (eh oui, j'ai des amis) : Émile Latulippe, directeur du service des ressources humaines et Élisabeth Samson, chargée de projets en chef.


Pour les motiver dans mon entreprise et les fidéliser, j'ai partagé mes parts de l'entreprise : 25% pour Émile et 5% à Élisabeth. Nous sommes donc copropriétaires de l'Oeil vert.


Aujourd'hui, j'assiste à la réunion hebdomadaire de mon entreprise et ce type de rencontre m'ennuie horriblement. J'y assiste parce que mes deux autres associés y tiennent mordicus. Mais moi, si j'avais le choix, je serais n'importe où, sauf ici.


Alors que mon regard fait le tour de la table de réunion, je constate que tout le personnel présent à cette rencontre est concentré et très attentif à l'explication de mon ami Émile, alors que moi, je voudrais m'enfuir, plutôt qu'être paralysé ici, dans cette pièce, depuis bientôt deux heures.


C'est plus que je ne peux supporter de cette réunion pénible et lancinante. De toute façon, ce bla-bla tourne en rond depuis plusieurs minutes, je ne comprends plus ce qu'on essaie de régler.


En comparaison avec tout ce beau monde, je vois bien que je suis différent. Je suis un homme d'action : dans la vie si tu n'avances pas, tu recules. Et là maintenant, on piétine sérieusement. C'est la partie du travail, si on peut appeler ça du travail, que je déteste profondément.


Février, c'est évident, ce n'est pas la pleine saison de l'Oeil vert, et on doit planifier le travail du printemps et de l'été. Cette année s'annonce très occupée, déjà 17 personnes travaillent chez nous, éparpillées sur les quatre projets majeurs en cours et les quatorze sous-traitances. Alors, on perd notre temps ici, chacun devrait plutôt travailler en comités sur leurs projets respectifs.


Ce matin, on ne peut pas dire que je sois très coulant, mon humeur est exécrable. Quoique... soyons honnêtes, je suis rarement agréable ! On me dit régulièrement que j'ai une humeur de boeuf ! Mais aujourd'hui, là, maintenant, on pourrait dire que je me sens une coche au-dessus. C'est que voyez-vous, je me sens très moche.


J'ai mal à la gorge, mes sinus sont complètement bouchés, je suis continuellement traversé de frissons. D'ailleurs, je pense bien avoir un peu de fièvre. Je ne suis franchement pas dans mon assiette. J'ai très mal dormi cette nuit et je me réfugierais volontiers sous les couvertures.


À défaut, j'aimerais que cette réunion prenne fin, que mes employés retournent à leur travail et que je puisse enfin retrouver la quiétude solitaire de mon bureau. On dirait que tout le monde se met de la partie pour étirer cette rencontre, la rendant le plus cacophonique possible.


J'ai chaud, très chaud, et je pense que ce bla-bla doit s'arrêter. Maintenant. Je vais mettre fin à cette réunion ridicule. Et sans me gêner.


C'est donc les yeux ébahis que ses employés l'entendent dire :


— Bon, je crois que tout a été dit. Vous parlerez des détails de cette rencontre, une autre fois. Il est 10h30, c'est le temps de travailler. Au boulot tout le monde. Émile et Élisabeth, suivez-moi dans mon bureau.


Guillaume n'avait pas encore franchi la porte de son bureau qu'il se retourne et s'écrie :


— Émile, explique-moi pourquoi Dion est encore ici, je l'ai aperçu tout à l'heure à la machine à café ? Je t'avais pourtant expressément ordonné de le foutre à la porte !


— Calme-toi, Boss.


Émile utilisait toujours le surnom « Boss » pour s'adresser à Guillaume pendant le travail. Histoire pour lui de diviser sa relation d'amitié personnelle d'avec ses heures au travail. Il avait comme besoin de cette distance artificielle pour gérer son tempérament émotif souvent handicapant pour lui, particulièrement avec Guillaume.


— J'espérais que t'allais comprendre, que tu changerais d'idée à son sujet. Tu sais que je ne suis pas d'accord.


— Tu n'es pas d'accord sur quoi ? demande calmement Élisabeth en entrant, avant de prendre une gorgée de café, tout en alternant son regard de Guillaume à Émile.


...

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