Fleurs Champêtres

 

Des nouvelles sur les us et coutumes de la campagne québécoise à cette époque.


Auriez-vous aimé mieux vivre dans ce temps-là ?


Voyez ce que cette journaliste canadienne a à vous raconter.

Sommaire


Prologue

Mot de l'auteure

L'orage arrive

Chez la mère Madeloche

Le mari de la Gothe

Le baiser de Madeleine

Trois pages de journal

Un mariage au hameau

Alleluia !

Une lettre d’amour au village

La Noël de la Kite

La Douce

Le miroir brisé

Gracieuse

Superstitions

Jeanne Sauriol

Au pays des montagnes

Comme aime une femme

Des livres captivants

Mot de la fin




Note à propos de la couverture : Les fleurs champêtres, une photo de Chantal Brodeur



Un mariage au hameau



« Entre les foins et les récoltes, c’est le temps des mariages. »


Le soleil s’est levé riant à l’horizon. À la maison, chez Jean-Pierre, on se lève avec lui et non moins joyeux, car aujourd’hui Catherine se marie à Jacques, fils de Paul-Ignace. Un beau couple, ma foi ! Jeunesse, beauté et biens également partagés.


Catherine, elle, s’est éveillée bien avant l’aurore, et les yeux sur sa belle robe d’épousée soigneusement étalée sur une chaise au pied de son lit, elle s’est dit que le moment décisif de son sort est arrivé. Mille pensées confuses de joie, de regrets, d’émotions diverses et mal définies l’agitent et font fuir le sommeil loin de ses yeux.


En bas, on se remue, on s’agite, les grandes personnes se hâtent d’allumer les fours et de rétablir l’ordre partout, pour aller ensuite procéder à leur toilette. Les enfants, abandonnés à eux-mêmes, charmés de tout ce mouvement inusité, manifestent leur joie, en plantant des pirouettes dans tous les coins.


À la campagne, point n’est de fête comme une noce.


Aussi, ne trouve-t-on de meilleure comparaison pour tous les bonheurs relatifs, que l’expression : J’étais comme aux noces !


C’est le seul point de comparaison usité.


La maison est proprette et rangée, les costumes ajustés et déjà les voitures s’attroupent devant la porte. Voici d’abord le marié qui vient saluer son épousée, dans son plus bel habit et sa cravate bigarrée de vives couleurs. Catherine tarde un peu à descendre, mais enfin, elle apparaît dans sa robe de mérinos bleu de ciel, avec un fichu blanc, retenu à son cou par une énorme broche qu’elle reçut un soir, de son fiancé, pour paiement d’une philippine.


On monte en voiture, Catherine et son père dans la première calèche. Les autres s’entassent pêle-mêle, qui dans les quatr’roues, qui dans les cabrouets, et de toute cette jeunesse s’échappent de bruyants éclats de rire, qu’accompagnent les joyeux propos. Cinq ou six voisines sont restées à la maison pour dresser la table.


Le marié, Jacques, et son père, Paul-Ignace, sont les derniers, suivant l’usage, à fermer la procession. Plus il y a de voitures faisant escorte, plus grande est l’importance, la popularité, et surtout la richesse des parties conjointes.


Une quarantaine de voitures est ordinairement le maximum de la gloire en pareille circonstance, et le souvenir en fera toujours époque dans les annales du commérage.




Un mariage à l’église

de mademoiselle-dentelle.fr



À l’église, la mariée fait son entrée triomphale et va prendre la place qui l’attend, sur une des modestes chaises de bois, disposées le long des balustres, où deux cierges sont allumés, entre deux maigres et longs bouquets de fleurs artificielles.


Il y a un peu de brouhaha dans le cortège. Les jeunes filles, amies de Catherine, cherchent les bancs les plus rapprochés de la mariée afin d’entendre le oui solennel. Si elle prononce la terrible monosyllabe d’un ton de voix plus élevé que celui de Jacques, c’est que Catherine sera maîtresse au logis et alors gare au mari ! Au contraire, si elle répond à voix basse, elle en sera l’esclave et la très humble servante.


Mais Catherine a souvent répondu en imagination à la demande du prêtre. En femme entendue, qui ne veut ni commander ni obéir, elle s’est tenue juste au diapason de Jacques et ne fait présager ni force, ni faiblesse.


Ses compagnes, qui, jusque là avaient tendu le cou d’un air anxieux, relèvent la tête d’un air satisfait et échangent des sourires. L’honneur du sexe est sauvé.


Après la cérémonie, les époux vont à la sacristie, signer d’une croix leur acte de mariage dans les registres de la paroisse. C’est maintenant le beau-père qui conduit la bru, tandis que Jacques descend l’allée avec le père de Catherine. C’est de cette vieille coutume que vient le dicton populaire appliqué à celle qui a démérité dans l’opinion publique :


En voilà une qui ne partira pas de sitôt des balustres avec son beau-père.


Au retour, les époux prennent place dans la première voiture et les beaux-pères vont jaser ensemble dans celle qu’occupait préalablement l’épousée, c’est-à-dire la dernière voiture du cortège. Le mari, qui conduit gaillardement sa « guevalle » de la main droite, a le bras gauche, – c’est son droit – posé sur le rebord de la voiture, où sa bien-aimée, non moins pimpante, s’est assise, tenant précieusement entre ses doigts, – bien qu’elle ne sache point lire, – un petit paroissien romain.


Avant de se rendre à la maison, on fait des visites. Ce serait une injure que de négliger ses voisins en cette occasion.


À la première maison où l’on descend, on s’embrasse à bouche que veux-tu.


Naturellement, le droit d’embrasser le premier la jeune épousée appartient à Jacques. Mais, si le garçon d’honneur ou quelqu’un d’autre plus adroit, vole le tour du marié, alors, ce sont des applaudissements, des quolibets sans fin, qui saluent sa déconfiture.


Il faut ensuite boire un coup à la santé des époux et manger une croquignole. Après quoi, sans se donner la peine d’ôter son chapeau, on saute deux ou trois cotillons, puis on s’en va de maison en maison répéter les mêmes rondes jusqu’à l’heure du repas.


Un personnage important et sans lequel il ne saurait y avoir de réjouissance, c’est le joueur de violon.


Comme les troubadours d’antan, après les héros de la fête qu’il accompagne partout, il occupe la première place, où il est entouré de toutes les attentions et de tous les égards.


Midi va bientôt sonner, quand le cortège nuptial arrive enfin chez Jean-Pierre. Les mariés, encore un peu solennels et guindés, sont chaleureusement accueillis par la mère et ses aides.


Il y a bien une larme dans les yeux de Josette quand elle embrasse sa fille, mais il ne faut pas troubler la fête, et vite, le pleur est essuyé du coin de son tablier blanc.


Les enfants, dont le nombre s’est encore augmenté de tous ceux des invités, regardent curieusement les jeunes époux, comme s’ils venaient de passer par une épreuve qui les eût transformés en personnages extraordinaires.


La grandeur du sacrement n’est associée, dans leur esprit, qu’à l’idée du splendide festin auquel il a donné lieu. Car le dîner c’est un des meilleurs moments de la journée, qui réunit tout le monde autour d’une bonne table ployant sous la quantité de mets qui la surchargent.


Il y a quatre jours que le four de famille et deux ou trois autres appartenant à de complaisants voisins, cuisent des pâtés énormes, d’immenses tourtières, des ragoûts d’abatis, des rôtis gigantesques, des volailles de toute espèce, bien dodues, bien alléchantes dans leur robe dorée. Tout cela, mis à la fois sur la table, flanqué de tartes débordantes de confitures aux citrouilles ou au raisin, et de hautes pyramides de croquignoles et de nourolles.


Le jeune couple a pris place à un des bouts de la table, le suivant et la suivante à leur côté. Les autres s’asseyent indifféremment, chaque cavalier s’occupant de remplir l’assiette de sa compagne avant de se servir lui-même. Les couteaux et les fourchettes font leur devoir, et les coups de dents n’empêchent pas les coups de langue.


On fait des allusions transparentes aux noces que l’on croit voir poindre dans l’avenir tandis que les parties intéressées cherchent vainement à dissimuler leur embarras.


On taquine encore les nouveaux époux qui, malgré les émotions, n’ont rien perdu de leur robuste appétit.


Au dessert les bouteilles commencent à circuler, du vin pour la mariée et ses compagnes, d’abord, puis le rhum pour les messieurs.


Chacun d’eux, avant de vider son verre, se lève et porte un toast de la manière suivante, selon la formule consacrée par l’usage :


« Pour vous saluer, monsieur et madame la mariée et toute la compagnie. »


Après que les appétits sont satisfaits, devant les débris du festin, on entonne les refrains de circonstance. Si l’un des mariés ne sait chanter le suivant ou la suivante doit le faire à sa place, et si ceux-ci font défaut on en choisit d’autres parmi les plus belles voix. Mais ce cas est assez rare, et qu’on le fasse bien ou mal personne ne se fait prier, car l’on considère comme un devoir l’obligation de chanter.

 

Sur Amazon

mariage, mari violent, lettre d'amour, superstition, Tadoussac, Noël triste, pages de journal intime

Sur Amazon