Le docteur se marie
Le docteur Mac Brain et madame Updyke étaient sur le point de s'unir par les liens du mariage. Jusqu'à présent nous n'avons rien dit encore de la fiancée, mais les incidents de notre histoire nous obligent à ne plus tarder de la présenter à nos lecteurs et d’entrer dans quelques détails sur son origine et sa famille.
Anna Wade était fille unique de parents respectables et riches. À dix-neuf ans, elle avait épousé un procureur assez âgé, qui lui avait donné le nom de madame Updyke. Cette union dura huit ans. Madame Updyke devint veuve à cette époque, avec deux enfants : un fils et une fille.
Avec le temps, ces enfants grandirent sous les soins assidus de leur mère, qui s'était dévouée corps et âme à leur éducation et à leur bien-être. Dans tout cela, il n'y avait rien que de très ordinaire, et l'on eut trouvé bon nombre de veuves, qui, comme elle, consacrassent leur temps et leurs soins à l'éducation de leurs enfants avec un dévouement qui les rendît comparables à des anges descendus du ciel.
Franck Updyke venait de terminer son éducation. On attendait son retour d'un voyage en Europe, qui durait depuis trois ans. Anna, qui portait le prénom de sa mère, venait d’atteindre l'âge heureux de dix-neuf ans, et formait un contraste avec ce qu'avait été sa mère à cette même époque de sa vie. La future n'était pas dépourvue de charmes, quoiqu'elle fût entrée dans sa quarante-cinquième année.
Aux yeux du docteur Mac Brain, elle était charmante, et ce qu'on appelle une brune agréable et bien conservée.
Il était étrange peut-être qu'après avoir échappé aux séductions d'un veuvage de vingt ans, cette dame pensât à se marier à une époque de la vie où la plupart des femmes abandonnent la perspective de changer leur condition. Mais madame Updyke avait encore le coeur jeune et plein de feu, elle prévoyait le jour où elle resterait seule au monde. Son fils, enclin aux voyages, parlait dans ses lettres d'absences indéfiniment prolongées.
Anna, courtisée par les jeunes gens qui fréquentaient sa famille, jeune et jolie, sensible, ne pouvait manquer de se marier de bonne heure. Ces raisons concluantes justifiaient en quelque sorte le parti qu'elle venait d'adopter. Mais il y en avait d'autres plus concluantes encore. Madame Updyke s’était éprise d'une véritable passion pour le docteur Mac Brain, qui la payait de retour.
Tom Dunscomb n'y comprenait rien. Il avait vu son ami trois fois amoureux, et trois fois il avait été choisi pour garçon d'honneur ou représentant intime. Personne ne pouvait affirmer que l'avocat eût lui-même complètement échappé aux traits du petit dieu, tant il avait habilement dissimulé aux regards curieux cette partie de sa vie.
Que le fait fût ou non vrai, il n'en soumettait pas moins ceux qui cédaient à la passion de l'amour au feu roulant de ses éternelles plaisanteries.
Les enfants envisagent d'ordinaire avec étonnement, sinon avec déplaisir, ces tardives inclinations de leurs parents. Anna Updyke fut surprise en effet, lorsqu'une vénérable grand'tante lui apprit que sa mère allait se remarier. Mais elle n'en fut nullement contrariée. Son futur beau-père, qu'elle connaissait, lui inspirait beaucoup de respect, et elle trouvait l'amour la chose la plus naturelle du monde.
Depuis son entrée dans le monde, la jeune fille avait été entourée d'adorateurs et de postulants à sa main. Anna avait refusé, aussi poliment que possible, six demandes directes.
Elle avait jeté de l'eau froide sur le double de petites flammes qui commençaient à brûler, et le feu du foyer avait dévoré quinze ou seize déclarations anonymes, tant en vers qu'en prose, provenant de passions spontanées, issues de rencontres à l'Opéra ou dans la rue, et dont les auteurs n'avaient pas trouvé de meilleurs moyens d'introduction.
Un petit sonnet, dans lequel l'auteur célébrait son admirable chevelure, avait été excepté de l'auto-da-fé. Un fluide électro-magnétique semblait s'être échappé du pli satiné pour lui souiller le nom de John Wilmeter, qu'elle comptait parmi ses admirateurs comme l'auteur du sonnet.
Les deux jeunes gens avaient échangé entre eux des témoignages de galanterie, vues d'un bon oeil et tolérées par la mère et par le docteur Mac Brain. Mais ils n'avaient pas eu le temps encore de se rendre compte de la nature des sentiments qu'ils éprouvaient l’un pour l'autre, lorsque Marie Monson apparut sur la scène d'une manière si étrange et inattendue, attirant John dans l'orbe du merveilleux et du mystère dont elle était entourée.
L'intimité qui existait entre Sarah Wilmeter et Anna Updyke et leurs fréquentes entrevues devaient nécessairement amener entre elles la conversation sur l'étrange caprice qui s'était emparé du jeune homme pour la prisonnière.
Le dialogue que nous allons rapporter ici avait lieu dans la chambre d'Anna, le matin même qui précédait le jour du mariage.
— Si ma mère vivait encore, et qu'elle dût se marier, dit Sarah Wilmeter, je m'estimerais heureuse d'avoir pour beau-père un homme comme le docteur Mac Brain. Je le connais depuis que je suis au monde. Il est depuis si longtemps l'ami intime de mon oncle Thomas, que je le considère comme un parent.
— Moi aussi, je le connais d'aussi loin que je puis me souvenir, dit Anna, et j'éprouve pour lui un grand fonds de respect et d'affection. Si je me mariais jamais, je n'aurais pas, je crois, autant d'affection pour le père de mon mari que j'en ressens déjà pour le futur époux de ma mère.
— Pourquoi pensez-vous qu'il y aurait un beau-père dans cette occurrence ? John n'a plus son père.
— John ! répliqua Anna d'une voix faible... Que peut avoir John de commun avec moi ?
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