Douce Carmen

 

L'ancien Paris, la butte Montmartre avant l'église du Sacré-Coeur,  la cité Ménard, ça vous dit quelque chose ?


Découvrez la vie de ces gens pauvres et la façon dont la douce Carmen leur apporte son aide.


Une histoire que vous aimerez.

Sommaire


Prologue

Les Godillots qui sortent

C’est la mère qui n’est pas bien

Qu’allons-nous faire de cet enfant ?

Où va-t-elle ?

Coudre ses boutons ?

Le dimanche

Carmen

André Simon au parc

Maria et son père

Le visiteur de Beaudoin

Madame Simon a d’autres projets

Tante Angèle

Pas mariés ?

Besoin d’une femme de ménage ?

Henri découragé

À la butte Montmartre

La petite Noémi

Qui sera la marraine ?

Madame Simon réagit

À blâmer : les riches

La visite du médecin

André erre

Punir sa mère

À l’atelier

Les adieux à Maria

Madame Landos et Léonard

Les habitudes s’installent

Louise

Remontrances à Léonard

La misère de l’hiver

Les lettres de son ami

Un jour de l’An heureux

Tante Angèle est malade

Le petit Pierre

Carmen ne veut pas se marier

Une petite fille

Une visite inattendue

La nourrice, madame Gardin

Arrangements ?

Mariage et deuil

La vie continue

Se fier à Nathalie ?

Rendre visite à Nathalie

La découverte

Le croup

Un brave médecin

Le mariage de Louise et Henri

Conclusion



Note à propos de la couverture : Image de Ankdesign / Dreamstime.com



C’est la mère qui n’est pas bien



Linot fit un signe de tête et suivit à la hâte Carmen, qui marchait très vite. L'ouvrier cherchait à éviter la pensée douloureuse qui l'obsédait. Ne pouvant y parvenir, il questionna :


– Comment se fait-il, mademoiselle, que ce soit vous qui ayez pensé à venir me chercher ?


– Il n'y avait personne, répliqua la jeune fille. Je m'étais mise un peu en retard ce matin, et toutes les dames étaient parties à l'ouvrage, excepté madame Gardin, qui a perdu son petit cette nuit. La pauvre femme, il n'y a rien à lui demander, à celle-là. Je n'ai pas fait ma journée, voilà tout.


Linot tournait une question dans sa tête. Mais une sorte de pudeur, naturelle aux gens frustes, l'empêchait de vouloir paraître trop sensible, trop geignard, comme ils disent. Cependant, l'inquiétude le poussait. Il dit à voix basse :


– Elle est très mal, la mère, mademoiselle Carmen ?


– Oui, répondit la jeune fille en pressant le pas. Malgré la roideur de la pente, ils se mirent à escalader l'escalier de la rue Chappe, au bas de laquelle un marchand de vin ingénieux a pris pour enseigne de sa boutique : À l'échelle de Jacob. Mais les anges y montent rarement.


– Qu'est-ce qu'elle a eu ?


– Le médecin vous le dira, fit Carmen en baissant la tête.


Ils étaient arrivés au premier palier.


– Ah ! le médecin est venu ? fit Linot inquiet en pensant que cela allait coûter très cher.


– Oui, c'est un bon médecin. Il soigne les malades pour son plaisir. Vous le connaissez bien, c'est M. Régnier.


– C'est un brave homme ! fit Linot rassuré. Le docteur Régnier n'envoyait sa note que dans les maisons riches. Et il dit qu'elle va mal ?


– Oui.


Carmen passa devant et enfila un autre escalier. L'eau coulait rapidement dans la rigole en pente roide qui l'accompagnait et faisait un joli bruit gai et printanier. Les cerisiers et les abricotiers des jardins voisins répandaient sur l'escalier une pluie de pétales blancs. Le soleil, avant de disparaître, envoyait à cette journée d'avril le plus triomphant adieu. Carmen sentit son coeur se gonfler d'amertume : tant de lumière et de douceur lui faisaient de la peine pour ceux qui souffraient.


– Est-ce qu'elle est seule, mademoiselle Carmen, pendant que vous êtes avec moi ?


– Non, sa mère est venue. Je l'ai envoyé chercher.


Linot fronça le sourcil. Il n'aimait pas sa belle-mère, qui le blâmait constamment, et qui n'avait cessé de considérer la venue prochaine de l'enfant comme une calamité.


– Il ne fallait pas, dit-il d'un ton grognon.


– Il le fallait, répliqua doucement Carmen.


Ils avaient fini de monter, car ils étaient au sommet de la butte. Ils franchirent une large grille ouverte à deux battants, puis Carmen courut devant et monta les quatre étages de l'escalier comme un sylphe.


Linot, plus lourd et déjà essoufflé par la rude escalade qu'il venait de faire si vite, s'appuya à la rampe en fer forgé d'un dessin ancien, qui contournait l'escalier assez spacieux, et monta en soupirant à chaque marche. Il n'avait pas atteint le second étage lorsque Carmen revint à lui et lui mit la main sur l'épaule avec une douceur compatissante.


– Ne montez pas si vite, dit-elle d'une voix brisée. Son visage portait une expression austère et douloureuse. Ses traits avaient pâli subitement, et ses yeux étaient pleins de larmes.


– Après avoir tant couru, ce n'est pas quelques marches de plus ou de moins, commença l'ouvrier. Comment va-t-elle ?


Carmen garda le silence, lui barrant toujours le passage.


– Vous ne dites rien ? Est-ce que... ?


Sans proférer le moindre son, il écarta violemment la jeune fille, dans l'escalier qui tremblait sous son pas lourd, entra dans son appartement par la porte restée ouverte et s'arrêta sur le seuil de la seconde pièce avec un frisson qui le secoua tout entier. Sur le lit, sa femme reposait toute blanche, le visage tranquille, recouverte d'un drap, et une bougie brûlait auprès dans l'unique chandelier de leur modeste ménage.


Il restait sur le seuil, hébété, ne pouvant croire à ce qu'il voyait. D'un geste machinal il ôta sa casquette et laissa retomber lentement sa main droite le long de son corps. Sa main gauche cherchait un appui. Il trouva l'épaule de Carmen et tomba dessus avec un sanglot semblable à un cri.


Sa belle-mère, qui rentrait en ce moment, après un bout de conversation chez une voisine, l'attaqua par-derrière.


– Eh bien, Linot, lui dit-elle de sa voix bruyante et vulgaire, je vous l'avais bien dit qu'elle en mourrait, la pauvre femme ! Mais les belles-mères ont toujours tort, et leurs gendres sont là pour les envoyer promener...


Linot releva la tête et regarda celle qui lui parlait avec une colère qui fit aussitôt place au dégoût.


– Vous pouvez bien dire ce que vous voudrez, allez, lui dit-il. Dans le temps ça me faisait de la peine à cause d'elle, parce qu'elle l'entendait. Mais à présent, ça ne me fait plus rien du tout !


Il s'approcha du lit, leur pauvre lit de noce, acheté jadis chez Crépin avec de longues journées de travail et des heures supplémentaires le dimanche. L'acajou était encore neuf. Ils avaient à peine fini de le payer.


Il s'assit sur une chaise placée aux pieds de la morte et posa son front sur la couverture en pleurant amèrement.


La belle-mère continuait à défiler son chapelet de reproches. Linot n'y prenait pas garde et pleurait à chaudes larmes. Il aimait sa femme, le pauvre homme ! Ils avaient été mariés deux ans et demi. Ce n'était pas une bien longue habitude, et cependant, il pensait que jamais une autre ne pourrait remplir la place de la défunte.


Elle n'était ni très jolie ni très gaie, mais elle répandait autour d'elle une tranquillité délicieuse pour l'ouvrier qui rentrait fatigué de son travail. Quand le soir il entendait la cité résonner de mille bruits discordants regardait son petit intérieur tranquille où ni elle ni lui ne criaient jamais, et il se sentait content. C'est ce contentement-là qu'il voyait perdu pour toujours.


La voix aigre de madame Boucard finit cependant, par le tirer de sa douleur, et il se tourna vers elle, sans craindre de lui montrer son visage ruisselant de larmes.


– Laissez-moi tranquille, dit-il d'une voix brisée. Je vous ai supportée tout le temps pour l'amour d'elle, mais maintenant j'espère que vous n'allez pas m'ennuyer, hein ?


– C'est ça, Linot, c'est très bien, glapit madame Boucard. À présent je n'aurai plus le droit de pleurer ma fille ! C'est très bien ! Mais qu'est-ce qu'il y a à attendre d'un homme qui ne demande pas seulement à voir son enfant ?


Linot se leva brusquement : c'est vrai ! Il avait oublié qu'il avait un enfant ! Avant qu'il pût faire une question, Carmen entra, portant sur son bras gauche, avec de tendres précautions, un paquet de linge où se détachait, en rouge foncé, une petite face grimaçante.


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