XÉNIE et son drôle d’héritage
 

Une jeune fille qui ne s’en laisse pas imposer décide de s’occuper de sa mère.


Elle l’aime beaucoup et ne veut pas la laisser vivre dans le besoin.


Elle se destine à une vie de sacrifice pour un moment de sa vie.


Puis un autre héritage, plutôt surprenant, lui arrive…


Auriez-vous accepter de vivre de tels sacrifices ?


Loin de la ville que vous aimiez ?


Suivez ces personnages fort attachants.


Vous ne le regretterez pas, assurément !

Sommaire



Introduction

Madame Mérief rencontre son mari

Rendez-vous avec son père

La soirée du ballet

Une fois à l’appartement

La demande de Ladine

Une triste nouvelle

Un testament injuste

Paul prend part au mensonge

Peut-on se permettre la campagne ?

Paul ne sait plus

La proposition de Xénie

Ma joie est faite de sacrifices !

Le père accepte

Il me rappelle

Anna et Paul se marient

Xénie et sa mère à Pétersbourg

Ladine raconte son mariage

La visite de Galik

Un fils à Paul !

Les crises de Madame Mérief

Anna se confie

Amis, toujours

Anna est malheureuse

Galkine ose

Ma mère voudra-t-elle ?

Une triste nouvelle

Vers Paris

Une lettre qui arrive juste à temps

Gâteuse ?

En haut de la falaise

Conclusion



La soirée du ballet



Le rideau du Grand-Théâtre se leva sur le cinquième acte d'un ballet très à la mode, et, des fauteuils au paradis, les trois mille spectateurs s'accotèrent le plus commodément possible à leurs places pour absorber par les yeux les merveilles que leur réservait le dénouement.


Voit-on ailleurs qu'en Russie des ballets en cinq actes aussi longs et aussi savamment aménagés qu'un grand opéra ? Cette question est du ressort de la statistique. Mais ce qui n'en est plus, c'est le plaisir extraordinaire que trouvent des gens intelligents, d'une éducation au-dessus de la moyenne, à regarder pendant quatre heures se dérouler une action muette, soutenue par une musique médiocre.


Il faut bien que le ballet, dans ces conditions, contienne quelque chose de plus que ce qu'il renferme chez nous. C’est quelquefois le mérite particulier d'une danseuse, mais le plus souvent c'est l'habileté de la coupe, en tout semblable à celle des grands opéras, où les solos remplacent les airs, où les duos sont de la pantomime, où les finales sont des ensembles d'une richesse, d'une harmonie aussi satisfaisante pour les yeux que la bonne musique peut l'être pour l'oreille.


Au moment le plus pathétique, où l'héroïne, poursuivie par un monstre odieux se décide à se précipiter dans le gouffre plutôt que de trahir l'être supérieur qu'elle aime, la petite Anna, assise très tranquillement dans une loge de face, à côté de Xénie, frissonna de tout son corps, et tendit timidement ses mains jointes vers la scène en disant :


— Oh ! non.


Les deux frères de Xénie, qui occupaient le fond de la loge, se mirent à rire, pendant qu'Anna, penchée en avant, les lèvres entr'ouvertes par un sourire ému, voyait surgir du plancher de la scène l'apothéose merveilleuse où l'héroïne, enlevée au palais des fées, recevait à la fois toutes les récompenses imaginables.


— Ne riez pas, fit gravement Xénie. Elle croit que c'est arrivé. C’est une force, que de croire que c'est arrivé. C’est avec cela qu'on marche sur l'eau et qu'on franchit les montagnes à vol d'oiseau. Bravo, petite Anna ! N'est-ce pas, que c'est beau ?


— Oh ! c'est si beau ! répondit la fillette, en regardant à regret le rideau tomber sur les splendeurs de la lumière électrique. Alors est-elle heureuse ?


— Qui cela ? fit Xénie, déjà levée, en fermant l'étui de son binocle.


— Elle, Rosaria...


— La Petipas ?


La figure étonnée d'Anna fit sourire mademoiselle Mérief.


— La danseuse, n'est-ce pas ? C'est madame Petipas qu'elle se nomme. Oui ! Elle est heureuse dans la pièce. Dans la vie, je ne sais pas. C’est son affaire.


Anna soupira, tout en mettant sa pelisse et en se laissant chausser ses bottines fourrées par un de ses cousins.


— Je voudrais qu'elle fût toujours heureuse, dit-elle. Elle est si jolie ! Et puis elle m'a fait pleurer.


— Elle en a fait pleurer bien d'autres ! dit Xénie avec une douceur émue qui lui était peu ordinaire. Allons, petite, ne nous laissons pas attarder. Nous ne trouverions plus de traîneaux.


Ils suivirent la foule dans les escaliers et se trouvèrent bientôt sous le vaste et vilain péristyle soutenu par de lourdes colonnes qui donne sur la grande place des Théâtres.


En face d'eux, le théâtre Marie, encore éclairé, laissait sortir les derniers spectateurs, suivis par les gardiens qui fermèrent les portes. Le gaz s'éteignit tout à coup, et la façade blanche se trouva plongée dans l'obscurité.


— C'est amusant, dit Xénie. C’est comme la vie. Beaucoup de bruit, de lumière, et puis, tout d'un coup, plus rien.


— Tu me fais froid dans le dos avec tes comparaisons, dit madame Mérief. Veux-tu bien te taire, et ne pas appeler le malheur ! Appelle plutôt un traîneau pour nous emporter chez nous.


La voix de Paul Rabof répondit derrière elle :


— En voici un, chère madame.


Le jeune homme quitta prestement son véhicule, et tenant d'une main la couverture de drap bordée de fourrure, de l'autre il invita les dames à l'y remplacer.


— D'où tombez-vous, vous ? fit madame Mérief en clignant un peu des yeux, afin de le mieux distinguer.


— J'étais aux fauteuils, et je vous ai impudemment lorgnées tout le temps, mais vous ne m'avez seulement pas regardé.


— Est-ce qu'on regarde aux fauteuils quand on se respecte ? fit madame Mérief d'un ton doctoral, et puis vous savez bien que je n'y vois goutte ! Eh bien, merci tout de même. Viens-tu, Xénie ?


La jeune fille regardait autour d'elle le spectacle de la foule noire et remuante sur la neige.


— On dirait des fourmis sur un pain de sucre, dit-elle. Maman, j'aimerais mieux rentrer à pied.


— Par ce froid ? Tu n'y penses pas !


— Bah ! il ne fait pas si froid, et puis, c'est tout près ! Rentre avec M. Paul, maman. La petite Anna et moi, nous nous en irons à pied, avec mes frères pour nous escorter.


— Allons, venez, jeune homme, dit madame Mérief, en s'introduisant dans le traîneau, dont le cheval et le cocher, aussi patients l'un que l'autre, attendaient tête basse le résultat de ce conciliabule, en songeant probablement l'un et l'autre à la même chose, à savoir : au gîte et au souper.


Venez reconduire une vieille femme, et vous trouverez deux récompenses. D’abord la Providence inscrira cette bonne oeuvre à votre avoir, et puis, en attendant la vie éternelle, vous aurez une tasse de thé.


Rabof s'assit auprès d'elle, et le traîneau se perdit dans la foule de véhicules semblables, bas et sombres, qui s'éparpillaient dans toutes les directions.


Les roues des voitures criaient sur la neige avec ce grincement strident si caractéristique, que pour ceux qui ont visité les pays du Nord, il évoque à lui seul toutes les images de l'hiver.


Les grands brasiers, allumés par mesure municipale, toutes les fois que le froid dépasse un certain nombre de degrés, et placés sous des pavillons de tôle, supportés par des colonnettes que protègent des grilles en fer, ces feux alimentés avec de grosses souches de bois de bouleau, à l'odeur aromatique, s'éteignaient lentement, désertés maintenant par tout le monde.


Seuls, quelques rôdeurs, gens sans aveu ou sans asile, cherchaient furtivement un reste de chaleur, et s'éloignaient en hâte dès qu'ils apercevaient le bachlik d'un sergent de ville.


La grande place, tout à l'heure grouillante d'hommes, de chevaux et de voitures, redevenait morne et tranquille, éclairée par des réverbères largement espacés. Avec ses deux théâtres déjà endormis, qui se regardent face à face, elle paraissait vaste et sans bornes. Les corniches, les ressauts des maisons, bordés de neige blanche, lui faisaient un cadre un peu triste, et la neige du sol, un instant souillée, semblait attendre que la nuit lui rendit sa solitude, afin de reprendre sa blancheur.


Xénie et la petite Anna marchaient côte à côte, d'un pas pressé, sans paraître se douter qu'elles venaient de passer d'une atmosphère surchauffée à un froid de vingt degrés au-dessous de zéro.


Les Russes ne se doutent pas que ces transitions sont difficiles à supporter. Et comme ils ne s'en doutent pas, ils supportent très bien ce qui nous paraît à nous autres absolument intolérable. Les jeunes messieurs Mérief avaient allumé des cigarettes et fumaient en suivant les jeunes filles, qui d'ailleurs ne se préoccupaient pas le moins du monde de leurs protecteurs.


— Alors, Anna, dit Xénie au bout d'un instant, tu aimes le ballet ?


— J'aime tout, répondit la jeune enthousiaste : le théâtre, la musique, les livres...


Elle poussa un grand soupir.


— Ne parle pas, lui dit avec bonté sa grande cousine, il fait trop froid. Nous allons arriver tout à l'heure. Vous montez, frères ?


Les jeunes gens s’excusèrent. Ils avaient à travailler. Xénie sourit. Leur travail du soir consistait généralement à souper chez Duseaux avec des dames, mais elle ne fit pas d'objection.

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