Défense d’aimer    Laurence Billaud

 

La jeune fille a d'abord perdu sa mère, ensuite son père et sa nouvelle belle-mère qu'elle aimait tant. Alors, elle doit quitter Montréal pour aller vivre en France avec une grand-mère inconnue.


Que pensez-vous qu’il se passe dans la tête de cette enfant qui a tout perdu ? Même son enfance ! Réussira-t-elle à s’en sortir ?

Marignane


Migui glissa la lettre dans son sac à main et se dirigea vers le comptoir des arrivées. Elle était nerveuse, et comble de tout, ne savait pas comment se comporter, elle qui dirigeait sa vie comme un commandant son navire. 

    « Sois naturelle, disait une petite voix intérieure, plus facile à dire qu’à faire ! »

    – Excusez-moi, mademoiselle, demanda-t-elle à l’agent au sol. Je viens chercher un enfant sur le vol AF 1324.

    – Quel est son nom ?

    – Marie-Charlotte Hébert.

La préposée tapota sur son clavier. Le coeur de Migui commença à battre follement.

    – Ah oui, voilà. Elle vient de Montréal via Charles de Gaulle. Puis-je avoir une pièce d’identité, madame... Julien. Voudriez-vous remplir ce document, s’il vous plaît ?

Migui sortit son passeport et le lui tendit en tremblant. L’hôtesse l’ouvrit puis le lui remit aussitôt.

    – Excusez-moi madame Julien, vous n’avez pas indiqué sur le formulaire vos liens avec l’enfant.

    – C’est ma petite-fille.

    – Merci. Marie-Charlotte devrait arriver d’un instant à l’autre par cette porte.

    – Savez-vous s’il y a plusieurs fillettes accompagnées ?

L’hôtesse, étonnée par la question, fixa la vieille dame.

    – Non, elle est la seule sur ce vol. Pourquoi ?

La jeune femme se mordit la lèvre. Elle avait fait preuve d’indiscrétion. 

    « Ma curiosité me perdra », pensa-t-elle en souhaitant que la vieille dame ne la rabroue pas trop. Or, cette dernière se lança dans une longue explication qui étonna l’employée :

    – Je ne la connais pas. Mais, ce n’est pas tout à fait vrai, car je l’ai vu sur la photo de mariage que m’a envoyée Nicole, ma fille. Un instant que je vous la montre. Vous allez voir comme Marie-Charlotte se tient fièrement entre son père et sa nouvelle maman. Elle rit. Il lui manque deux dents. Je n’ai jamais vu une photo aussi joyeuse. Tenez regardez !

L’hôtesse, touchée par l’anxiété de son interlocutrice, prit la photo sur laquelle une enfant, entre huit et dix ans, toute menue, posait entre les deux adultes. Sa petite robe rouge à plis adoucissait ses formes un peu trop généreuses ; ses yeux devaient être magnifiques derrière les loupes disgracieuses. La jeune femme se demandait pourquoi les parents privilégient toujours le pratique à l’esthétique. Néanmoins l’enfant éclatait de santé, de joie et d’une franche espièglerie.

Pendant que la jeune femme hochait la tête et la félicitait d’avoir une si jolie petite fille, Migui pensa à Marie-Charlotte. Elle rassemblait ses souvenirs, afin de se rappeler de Nicole enfant. Elle espérait qu’elle soit comme sa fille : un véritable moulin à paroles et pleine de vitalité. 

Migui reprit la photo qu’elle plaça précautionneusement dans son sac, remercia la jeune femme puis se rendit vers la porte B. Elle n’avait plus qu’à patienter quelques minutes pour enfin serrer la petite Québécoise contre elle.

    « J’ai hâte de la rencontrer malgré ces tristes circonstances. Même à soixante-quatre ans, j’ai tant d’amour à donner encore. Nicole avait tant aimé la petite que je la considère véritablement comme ma petite-fille encore plus aujourd’hui, je ne prendrai jamais dans mes bras le bébé de ma Nicole. Que j’ai hurlé en apprenant la mort de ma fille et de mon gendre dans un accident d’automobile ! Maudit le Seigneur de me l’avoir arrachée.

Tu as bien pris mon mari il y a quatorze ans, pourquoi ma fille aujourd’hui ? Es-tu donc sans coeur ? Que t’ai-je fait pour que tu m’en veuilles autant ?

Mes questions restent toujours sans réponse. De toute manière, je n’en espérais aucune ! Il y a une raison pour que les choses arrivent. On ne la comprend pas toujours immédiatement, gardez la foi, m’a dit le prêtre. Il n’a jamais eu d’enfant, c’est facile à dire ! »

Les portes vitrées s’ouvrirent déversant son flot de voyageurs en provenance de Paris.

...

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