Sommaire
Introduction
Elle écrit à son amie
Au château de Sénac
Bouscatié
Amour déchu, un autre trouvé
Leur arrivée au château
Pendre la crémaillère
Une première année au château
Le secret dévoilé
Le secret de Thérèse
Arrivés à Paris
Position mondaine exige
Chez l’avocat
Est-il préparé ?
Les visites
Le procès
Une invitation
Le grand jour venu
Entre écrivains
Les courses à Lausanne
Revenir à Paris
Une visite imprévue
Le procès plaidé et perdu
Signer, oui, mais...
Une saisie au château ?
La comtesse de Sénac fait le voyage
Le huissier ne viendra pas
La vie à Paris
Un deuxième procès
Fortunat renoue avec sa mère
Une découverte
La lettre à Thérèse
Conclusion
Introduction
Le monde, sous des airs indignés, cache d'amusants pardons pour l'audace qui brave ses lois et pour l'intrigue plus ou moins adroite qui crochète ses portes. Même, il est aisé de voir qu'il ne déteste ni les sarcasmes de la philosophie, ni les foudres de la religion, car en combattant sa tyrannie ou sa perversité, on affirme encore sa puissance.
Voilà pourquoi, de tout temps, le monde s'est porté en foule aux comédies qui étalent ses ridicules. Pourquoi, de nos jours, il s'arrache les œuvres des romanciers qui promènent sur ses laideurs le verre grossissant de l'analyse.
Voilà pourquoi, depuis qu'il y a des chaires dans les temples et des prédicateurs dans les chaires, une élite mondaine, feignant l'humilité, s'assied aux premiers rangs des fidèles pour savourer fièrement l'anathème sacré : Vanitas vanitatum, et omnia vanitas ! De l'anathème il a fait une devise qui prouve sa vieille noblesse. Telle une famille qui pourrait établir qu'une de ses grand'mères avait déjà mal tourné du temps de Salomon.
Tout au contraire, à ceux qui veulent planer au-dessus de lui, qui négligent insolemment de le prendre pour témoin de leurs luttes, de leurs fautes, de leurs chagrins ou de leurs joies, le monde garde un éternel ressentiment.
Tôt ou tard il leur réserve une vengeance, même quand il est contraint de sourire à leur succès ou à leur fortune. Ainsi que Méphistophélès bafoué par l'odieux pouvoir du sublime et du mystique, il s'éloigne pour un temps, grommelant dans sa rage momentanément désarmée :
« Nous nous retrouverons, mes amis, serviteur ! » Et l'occasion venue, sans pitié il enfonce le trait.
Il y a quelques années, ces réflexions durent frapper les observateurs capables de penser et de prévoir, à la vue du malaise indéfinissable qui se déclara sourdement dans les sphères les plus élevées de la meilleure société, lorsque ce double billet de part fut répandu – sans profusion – dans le faubourg Saint-Germain et ses annexes :
« Le comte de Sénac a l'honneur de vous faire part de son mariage avec mademoiselle de Quilliane.
Château de Sénac (Ardèche), le...
Madame de Chavornay, religieuse hospitalière de Saint-Bernard de Menthon, a l'honneur de vous faire part du mariage de mademoiselle de Quilliane, sa nièce, avec M. le comte de Sénac.
Couvent des Bernardines, avenue Kléber, le... »
Certes, l'union était assortie comme nom et comme fortune. Les Quilliane et les Sénac représentent la meilleure noblesse de la Provence et du Languedoc. Les jeunes époux, d'après les calculs les plus modérés, entraient en ménage avec 120,000 livres de rente. Quant à leurs personnes, peu de gens pouvaient en parler. Encore fallait-il, pour cela, remonter à plusieurs années.
Albert de Sénac avait disparu du monde, un beau jour, sans crier gare, pour aller voyager aux antipodes. À vrai dire, avant cette fugue, le monde n'avait trouvé dans le jeune déserteur qu'un courtisan peu remarquable par son assiduité et visiblement sceptique.
Depuis son retour, c'était pis encore. Albert ne s'était montré presque nulle part et d'après le genre de vie qu'on lui connaissait, il était permis de le croire moins occupé de chercher une femme que d'asseoir sa candidature à l'Académie des inscriptions. Aussi la nouvelle inattendue de son mariage faisait froncer les sourcils à plus d'une douairière, au souvenir des hypocrites déclarations en faveur du célibat par lesquelles ce sournois avait repoussé leurs tentatives.
Quant à la nouvelle madame de Sénac, c'était bien autre chose. Le moins qu'on pouvait en dire était de l'appeler défroquée, et c'est à quoi l'on n'eut garde de manquer, surtout les mères qui avaient soigné Sénac pendant un hiver ou deux, et qui avaient encore leurs filles sur les bras.
Quelques jeunes femmes, anciennes élèves du fameux couvent de l'avenue Kléber, et qui avaient conservé leurs entrées dans la maison après le sacrement, rétablissaient les faits et défendaient leur ancienne compagne contre les attaques de leurs aînées.
– Thérèse n'a jamais porté l'habit religieux, disaient-elles. Son mariage s'est décidé la veille du jour où devait avoir lieu la vêture. Donc elle n'est pas plus défroquée que nous.
– C'est bien subtil. Depuis trois ans elle était enfermée là-bas, et tout le monde la considérait déjà comme bien et dûment cloîtrée. Joli couvent, d'ailleurs, si les amoureux y entrent comme au moulin !
– Mais non, chère madame. Elle a connu M. de Sénac en Égypte, dans un voyage...
En Égypte ! En voici bien d'une autre ! Cette jeune personne accomplissait le tour du monde pendant qu'on la croyait prosternée dans sa cellule ! C'est ce que nous appellerons faire son noviciat à l'américaine.
Hé ! la pauvre petite ne voyageait pas pour son plaisir. Elle accompagnait son frère, malade de la poitrine, si malade qu'il en est mort, malgré l'Égypte...
Et qu'il n'a pas très bien surveillé sa garde-malade. Sénac aura si fort compromis la demoiselle que le couvent la lui a laissée pour compte.
Mais non, puisqu'elle est rentrée au couvent après son voyage et qu'elle y a passé presque deux ans.
– Bon ! je vois ce que c'est. Le monsieur l'aura quelque peu enlevée.
...