Des créatures de ce temps
 

Des gens qui ont vécu dans les années 1850 en France. Décrits comme si vous y étiez.

Des gens marginaux pour la plupart, à vous de juger.

À quelles activités pensez-vous que ces gens pouvaient s’adonner à cette époque ?

À vous de le découvrir…

Sommaire


Préface

L’ornemaniste P…

Victor Chevassier

Nicholson

Une première amoureuse

Édouard Ourliac

Bénédict

La revendeuse de Macon

Le passeur de Maguelonne

Le père Thibaut

Un visionnaire

Un comédien nomade

Marius Claveton

Louis Roguet

L’organiste de Langres

Peytel


Édouard Ourliac



En ce temps-là, c'était le beau temps, le beau temps et l'âge d'or du roman. Par ces années de grâce littéraire, il y avait beaucoup de gens qui faisaient des livres, et il y avait, de gens qui en lisaient, plus encore que de gens qui en faisaient.


Le lecteur de 1830 était un lecteur dévoué, incomparable, héroïque, inassouvi. Il lisait tout. Que le livre eût un titre un peu affriandeur, le livre était enlevé. En ce temps, les maîtresses de cabinet de lecture, à ficeler les paquets de leurs abonnés, avaient les doigts comme des maîtresses de maison qui couvrent leurs confitures.


Aux vitrines, les lithographies pleines de meurtres, de femmes renversées par terre, de mares de sang, de lumières de coups de pistolets, de malédictions paternelles, s'étouffaient l'une l'autre. Ces lithographies étaient d'un faire féroce.


Elles étaient plus hautes en couleur, et plus énergiquement crayonnées, et plus tirant l'œil les unes que les autres. On aurait dit des saltimbanques qui se disputent la foule à renfort de tapage.


Édouard Ourliac fit son entrée dans le monde littéraire à coups de lithographies. La première annonçait l'Archevêque et la Protestante (1832). Celle qui suivit, Jeanne la Noire (1833).


L'éditeur était Lachapelle, cet audacieux d'alors qui imprimait à peu près tout ce qu'on lui apportait, à la condition qu'on lui donnerait gratis un second roman, si le premier faisait son bout de chemin. Madame Cardinal, de la rue des Canettes, la bibliothécaire du roman moderne, vous dira qu'Ourliac lui recommandait de passer sous silence ces deux péchés de jeunesse, à qui lui demanderait son œuvre.


La voie d'Ourliac, Balzac l'a définie d'un mot, Ourliac retournait l'ironie de Candide contre la philosophie de Voltaire. Et de l'ironie il essaya toujours de faire une arme d'Église. Il se moqua au nom du Christ. Là est l'originalité du talent d'Ourliac.


Ne lui demandez ni une forme neuve, ni un cadre bien original. Il a un peu lu, et malheureusement il a beaucoup retenu. Mais où il est bien lui, comme mode d'idées, c'est dans ces nouvelles où il exhorte à la religion en raillant le siècle, et paradoxant ad majorem Dei gloriam.


Cette façon singulière de faire servir à la maison du Seigneur les étais de la maison du diable, marquait un esprit osé, décidé à faire flèche de tout bois. Elle parut sans doute de bon aloi à de plus casuistes que nous. Et Ourliac fit école de Rabelais de sacristie.


Peut-être bien, en ces baliverneries sérieuses et de consciences, y a-t-il un grain de trop gros paradoxe, et le réquisitoire du chrétien pourrait-il être moins partial. Peut-être bien y a-t-il exagération à mettre comme dans l'Épicurien, toujours l'indigestion à côté du souper, l'hôpital après l'amour, la santé à côté du jeûne et des macérations. Mais cela est sauvé par l’intention.


Puis, ces rieuses morsures d'un esprit anti-révolutionnaire, il en use à toute outrance contre le journal, dans le conte humoristique des Phillophages. Les colères qui s'allument, les pavés qui se remuent, les gamins qui deviennent des héros, les révolutions qui mijotent, toutes les catastrophes privées et sociales, il porte tout cela au compte de ce carré de papier qu'on passe sous les portes le matin.


La presse est pour lui « une correspondance bien réglée entre quelques gens qui ne pensent guère, et beaucoup qui ne pensent pas ».


Là, dans le Bien des pauvres, c'est une ménippée, le rire aux lèvres, contre les hôpitaux, ou pour mieux parler contre la charité constitutionnelle Ourliac dit tous les biens de l'administration des hôpitaux et hospices civils de la ville de Paris.


Il s'étend sur les difficultés de résoudre le problème d'obtenir une entrée dans un hôpital sans être tout à fait mort. Il montre le médecin plus ami de la science que du malade. Il fait les infirmiers ivres, la miséricorde et la sollicitude nulles en cette maison des pauvres.


Et comme le conte approche de la fin, un curé entre en scène, qui argumente contre les réconforts laïques, appelant les hôpitaux « une voirie », et recommence le procès aux spoliateurs du clergé. Mais le pauvre Ourliac devait mourir dans une manière d'hôpital, et on ne peut guère lui en vouloir de s'être vengé par avance.


Ourliac était un petit homme imberbe comme un acteur, et pâle. Son teint était bilieux, son œil pétillant. Des lèvres minces et faites à point pour le persiflage complétaient un remarquable masque d'ironie. « Il n'avait rien, dit-il quelque part de lui, sans se nommer, il n'avait rien qui prévînt en sa faveur.


Point de cet air de franchise et d'étourderie qui sied à un jeune homme. Une tenue circonspecte, peu de taille, un teint maladif, un visage désagréable, qui frappait pourtant. Des traits mobiles, expressifs quand il s'animait, et un sourire qui n'était pas sans grâce. »


Quand il avait bu, de pâle Ourliac passait blême. Et alors, dans les dandinements et l'excitation de l'ivresse, son esprit mal d'aplomb entre la fièvre de tête et le mal de cœur, son esprit « mal réglé, peu choisi, tourné au sarcasme, mais fort plaisant », éclatait en gaudisseries pantagruéliques.


Facétiant comme un Triboulet de lettres, il jetait au hasard ses joyeusetés intarissables. Il semblait qu'il tirât au sort dans une casquette les mots et les idées. Et des phrases insolites, les plus étranges défis à la grammaire, des lazzis en dehors de toute syntaxe, toute une langue tordue comme un kriss malais, toute une littérature à lui, macaronique et inimitable, s'envolait de sa bouche crispée par les tournoiements de l'ébriété.


Au milieu des rires qui accueillaient ses saillies, il restait grave et blême, presque humilié d'une galerie, comme un Debureau sur une chaise curule. Et, chose étonnante, de ce Pierrot dont il avait si bien la face, il avait aussi les mignons vices. Il eût très bien passé par les sept compartiments d'un dessin allemand des sept péchés capitaux.


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décorateur avec ornements, atelier d’artiste, enterrement de mon père en campagne, avocat dans un bar, une première amoureuse, peintre puis mathématicien, colporteur qui vend à chaque maison

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