Sommaire
PREMIÈRE PARTIE
Introduction
La grande pêche dangereuse
Écrire une lettre
Gaud (Marguerite)
La rencontre avec Yann
La deuxième rencontre
En juin, à bord de la Marie
Un vapeur, là-bas !
DEUXIÈME PARTIE
Menace écrite en l’air
De retour
Marcher vers Pors-Even
Me marier ? Pour quoi faire ?
Sylvestre
Les adieux avant la Chine
Sur des mers inconnues
C’était l’Inde
La veille du départ des pêcheurs
Naufrage ?
Sylvestre, à l’autre bout de la terre
TROISIÈME PARTIE
La bataille
Le retour vers la France
Cet enterrement
Vendre à la criée
On demande la vieille Yvonne
Yvonne, soûle ?
Yann apprend la nouvelle
À son poste de pêcheur
Août qui clôt la saison d’Islande
Qui est-ce qui a parlé ?
Gaud à la chaumière des Moan
Les Islandais sont de retour
Des journées bien grises
Au cabaret de Mme Tressoleur
On tue son chat
Enfin chez elle !
QUATRIÈME PARTIE
Se faire la cour
Les préparatifs
Fleuri pour eux
Des questions
Le mariage
Le dîner de noces
Ce moment de départ
CINQUIÈME PARTIE
Leur dernier repas
Le départ
Les lettres
Ces mois d’été
L’attente du retour
Toujours pas revenu !
Fin de septembre
Septembre fini
Tendue
Conclusion
Des livres captivants
À propos de la couverture : Port Hofn, en Islande, de Bogdan / Dreamstime
Me marier ? Pour quoi faire ?
— ME MARIER ? disait Yann à ses parents le soir — me marier ? Eh ! donc, mon Dieu, pour quoi faire ?
Est-ce que je serai jamais si heureux qu'ici avec vous ? Pas de soucis, pas de contestations avec personne et la bonne soupe toute chaude chaque soir, quand je rentre de la mer... Oh ! je comprends bien, allez, qu'il s'agit de celle qui est venue à la maison aujourd'hui.
D'abord, une fille si riche, en vouloir à de pauvres gens comme nous, ça n'est pas assez clair à mon gré. Et puis ni celle-là ni une autre, non, c'est tout réfléchi, je ne me marie pas, ça n'est pas mon idée.
Ils se regardèrent en silence, les deux vieux Gaos, désappointés profondément. Car, après en avoir causé ensemble, ils croyaient être bien sûrs que cette jeune fille ne refuserait pas leur beau Yann.
Mais ils ne tentèrent point d'insister, sachant combien ce serait inutile. Sa mère surtout baissa la tête et ne dit plus mot. Elle respectait les volontés de ce fils, de cet aîné qui avait presque rang de chef de famille.
Bien qu'il fût toujours très doux et très tendre avec elle, soumis plus qu'un enfant pour les petites choses de la vie, il était depuis longtemps son maître absolu pour les grandes, échappant à toute pression avec une indépendance tranquillement farouche.
Il ne veillait jamais tard, ayant l'habitude, comme les autres pêcheurs, de se lever avant le jour. Et après souper, dès huit heures, ayant jeté un dernier coup d'oeil de satisfaction à ses casiers de Loguivy, à ses filets neufs, il commença de se déshabiller, l'esprit en apparence fort calme. Puis il monta se coucher, dans le lit à rideaux de perse rose qu’il partageait avec Laumec, son petit frère.
Sylvestre
DEPUIS quinze jours. Sylvestre, le petit confident de Gaud, était au quartier de Brest. Très dépaysé, mais très sage. Portant crânement son col bleu ouvert et son bonnet à pompon rouge. Superbe en matelot, avec son allure roulante et sa haute taille. Dans le fond, regrettant toujours sa bonne vieille grand-mère, et resté l'enfant innocent d'autrefois.
Un seul soir il s'était grisé, avec des pays, parce que c'est l’usage. Ils étaient rentrés au quartier, toute une bande se donnant le bras, en chantant à tue-tête.
Un dimanche aussi, il était allé au théâtre dans les galeries hautes. On jouait un de ces grands drames où les matelots, s'exaspérant contre le traître, l'accueillent avec un hou ! qu'ils poussent tous ensemble et qui fait un bruit profond comme le vent d'ouest.
Il avait surtout trouvé qu'il y faisait très chaud, qu'on y manquait d'air et de place. Une tentative pour enlever son paletot lui avait valu une réprimande de l'officier de service. Et il s’était endormi sur la fin.
En rentrant à la caserne, passé minuit, il avait rencontré des dames d'un âge assez mûr, coiffées en cheveux, qui faisaient les cent pas sur leur trottoir.
— Écoute ici, joli garçon, disaient-elles avec de grosses voix rauques.
Il avait bien compris tout de suite ce qu’elles voulaient, n'étant point si naïf qu'on aurait pu le croire. Mais le souvenir, évoqué tout à coup, de sa vieille grand-mère et de Marie Gaos l'avait fait passer devant elles très dédaigneux, les toisant du haut de sa beauté et de sa jeunesse avec un sourire de moquerie enfantine. Elles avaient même été fort étonnées, les belles, de la réserve de ce matelot :
— As-tu vu celui-là ! Prends garde, sauve-toi, mon fils. Sauve-toi vite, l'on va te manger.
Et le bruit de choses fort vilaines qu'elles lui criaient s'était perdu dans la rumeur vague qui emplissait les rues, par cette nuit de dimanche.
Il se conduisait à Brest comme en Islande, comme au large, il restait vierge. — Mais les autres ne se moquaient pas de lui, parce qu'il était très fort, ce qui inspire le respect aux marins.