L’homme congelé
Normand Jubinville
L’homme congelé
Normand Jubinville
La découverte d’un cadavre dans le congélateur d’Odette Tremblay surprend les résidents du petit village de Wotton.
Qui est cet homme ? Est-ce une mort naturelle ou un meurtre ? Dans quelles circonstances et surtout pourquoi s’est-il retrouvé dans cette position ?
L’inspecteur Boileau et son équipe vont tenter de faire parler ce cadavre et mettre à jour la vérité. Deux heures captivantes : une enquête pleine de rebondissements !
1. Poulets congelés ?
« Ah ! Quand la malchance s'acharne sur les gens, elle ne les lâche pas ! se disait Sylvie Bélanger tout en donnant à manger aux deux chats d'Odette. Pauvres bêtes, vous risquez d'être seules pendant un bon bout de temps… S'ils arrivent à la sauver, bien entendu ! »
Elle se remémorait les événements de la veille quand Odette Tremblay s'était affalée sur le perron de l'église, au sortir de la messe dominicale.
« Heureusement qu'il y avait plein de monde, on a pu appeler l'ambulance rapidement. Cherchez ce qui serait arrivé si elle avait été seule chez elle ! Rien que d'y penser j'en ai la chair de poule ! »
Cette expression lui fit penser qu'il fallait aussi nourrir les poulets. Elle se dirigea vers la basse-cour située derrière la maison.
« Les ambulanciers ont dit qu'elle avait fait une crise cardiaque et l'ont transportée à l'hôpital d'Asbestos. Mais j'ai su par la suite qu'ils l'ont vite transférée à Sherbrooke, se dit-elle. Je dois penser d'appeler l'hôpital en rentrant. »
Sylvie, en tant que voisine et amie d'Odette, avait été mandatée pour prendre des nouvelles d'elle et informer le reste du village. À Wotton1, les mille cinq cents habitants se connaissaient tous. Du moins, tous connaissaient Odette Tremblay à cause son petit commerce d'œufs frais et de poulets de grain2 qu'elle vendait de chez elle depuis près de cinquante ans. On la reconnaissait aussi à cause de sa démarche singulière : Odette avait une jambe plus courte que l'autre. Même en portant des souliers adaptés, sa démarche comportait un déhanchement décelable de loin. On l'appelait affectueusement « la boiteuse », mais jamais en sa présence ; c'était alors madame Odette ou Odette tout court pour les intimes. Madame Tremblay c'était sa mère.
Les deux femmes vivaient seules dans leur petite maison, avec le fils Tremblay. Mais lui, était disparu depuis au moins quinze ans. Ceux qui avaient suivi la petite histoire disaient qu'il était probablement encore en prison ou quelque part à faire des mauvais coups. Les gens du village l'avaient vu grandir comme de la mauvaise herbe et avaient subi ses écarts de conduite dès l'école primaire. Adolescent, il avait été mêlé à toutes sortes d'affaires louches et avait finalement été condamné à la prison pour complicité dans un meurtre relié au trafic de drogue.
« Il va finir par faire mourir sa mère » disaient les femmes du village.
Sa mère, Rose-Marie Tremblay, était une personne calme et gentille. Veuve depuis plusieurs années, elle avait initié l'élevage des poulets, dont elle s'occupait avec sa fille Odette. C'était des gens humbles et l'apport financier de la vente des œufs et des poulets était bien venu. Malheureusement, Rose-Marie avait subit un AVC3 cinq ans auparavant et était depuis ce temps, résidente d'un CHSLD4 à Sherbrooke.
Odette aurait voulu la garder avec elle mais on lui a fait comprendre qu'elle ne pouvait pas s'occuper décemment d'une personne au trois quart paralysée. Elles avaient fini par accepter la séparation. Comme Sherbrooke était à près d'une heure de route de Wotton, Odette, n'ayant pas d'auto, n'allait visiter sa mère que quelques fois par mois, lorsqu'un voisin compatissant lui offrait le transport, prétextant avoir besoin « d'aller en ville ». Odette les remerciait en leur offrant un de ses meilleurs poulets.
Sa voisine Sylvie se disait qu'il était normal de s'occuper de sa maisonnée pendant son absence afin qu'elle retrouve tout en ordre à son retour. Car Sylvie ne doutait pas que la médecine moderne réussisse à la sauver, après tout, elle n'avait que soixante-trois ans ! Par contre, elle réalisait que la convalescence de sa voisine pourrait être longue.
« Une opération à cœur ouvert, ce n'est pas une petite affaire ! »
Mais elle se sentait capable d'assurer l'intérim pendant quelques mois s'il le fallait.
« Si elle doit être absente pendant longtemps, je ferais bien de vérifier s'il y a quelque chose qui risque de se gaspiller dans le réfrigérateur et dans le congélateur »
Sylvie retourna dans la maison et se dirigea vers l'immense congélateur où Odette conservait les poulets congelés, prêts à la vente. Elle commença à en faire l'inventaire lorsqu'elle remarqua quelque chose de bizarre. Elle souleva un carré de carton et son visage devint livide. Elle remonta précipitamment l'escalier du sous-sol et se rua à l'extérieur en hurlant :
« Il y a un cadavre dans le congélateur ! »
Puis elle perdit conscience.
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