L’incendiaire de Sherbrooke

 
 

1. L’incendie


L’incendie du commerce faisait rage. Les flammes atteignaient maintenant le toit de l’édifice. La chaleur devenait plus intense à mesure que les flammes perçaient la fumée. « Recule-toi Léo ! », hurla le policier à l’intention d’un des nombreux curieux qui étaient venus admirer le spectacle au milieu de la nuit. Léo recula d’un pas ; la chaleur intense ne semblait pas l’incommoder. Le policier vint vers lui, Léo ne le regarda pas, il semblait hypnotisé par le feu. C’est à peine s’il jeta un regard vers l’homme en uniforme quand il le poussa doucement hors de la zone de danger.

– C’est qui cet énergumène ? demanda l’un des pompiers.

– C’est Léo, répondit le policier, tu ne le connais pas ?

– Je suis nouveau ici, est-ce que je devrais le connaître ?

– Tout le monde connaît Léo, en faisant un grand geste du bras pour englober l’attroupement.

– Il n’a pas l’air bien brillant, appuyant son affirmation d’un index tournoyant près de sa tempe.

– Ouais, comme on dit : pas assez fou pour mettre le feu mais pas assez fin pour l’éteindre, ajouta le policier en riant. Il est un peu spécial mais il n’est pas dangereux. Il faut seulement l’avoir à l’œil pour ne pas qu’il soit blessé.

Le pompier l’observa un moment. Selon son estimation, Léo devait avoir près de cinquante ans et mesurer un mètre quatre-vingt-dix (six pieds trois pouces). Sa carrure athlétique et ses larges mains ne semblaient pas appartenir à son visage d’enfant qui était pour l’instant illuminé par les lueurs de l’incendie et par la fascination qu’il exerçait sur lui. Les yeux exorbités, il ne souriait pas. « Dommage, se dit-il, cet homme possède le gabarit pour être un bon pompier volontaire ». Il remarqua que Léo s’approchait encore. Mais le policier l’avait vu lui aussi. Il vint se placer devant Léo qui aussitôt baissa le regard.

– Léo, tu sais que tu dois être gentil. J’ai beaucoup de travail, je ne veux pas avoir à te surveiller tout le temps.

Léo ne répondit pas. Il regarda alentour, jamais son regard ne croisa celui du policier. Il l’ignora totalement mais recula lentement à mesure que le policier s’avançait sur lui. Il ne bougea plus. Il passa la nuit à cet endroit et occupa son poste tant qu’il y eut une lueur de flamme. Quand le jour se leva, le feu était sous contrôle, le spectacle était terminé, Léo rentra chez lui.

Après avoir préparé et avalé son petit déjeuner, il nourrit ses poissons rouges. Il prenait soin méthodiquement de ses poissons rouges et ceux-ci continuaient de grossir. L’aquarium serait bientôt trop petit pour eux. Il se dit : « Je règlerai ce problème en temps et lieu ». Pour Léo ce serait un gros défi car Léo ne parle à personne, même pas au commis de l’animalerie quand il va acheter la nourriture pour ses poissons. Comment va-t-il s’y prendre pour commander un nouvel aquarium ? Où va-t-il le mettre ? La demeure de ses poissons occupait déjà toute la surface du meuble dédié à cette fonction. « Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place », se dit-il. La vie de Léo était très organisée, immuable, sauf quand il y avait un incendie !

Il regarda sa montre et constata qu’il avait le temps de faire sa première tournée des mégots. Il ramassa sa casquette (il la portait en toute saison) et se dirigea vers sa première station. Léo avait constaté depuis longtemps que chaque commerce du centre-ville de Sherbrooke avait réservé un coin à l’extérieur, généralement à l’arrière, pour les employés qui voulaient griller une cigarette durant leur pose. Pour éviter l’accumulation, ils avaient placé un récipient destiné à recueillir les mégots. Parfois, Léo y trouvait une cigarette à demi consumée qui rougeoyait encore. Il s’en emparait et la terminait avec satisfaction. Il savait qu’il pourrait en acheter, l’argent n’étant pas un problème pour lui, mais il faudrait le demander au commis. Il se disait souvent qu’il irait un jour mais se souvenait aussitôt que sa maman lui avait déconseillé de fumer. « C’est pas bon pour ta santé » disait-elle. Alors Léo fumait à l’extérieur, en cachette, des mégots ramassés derrière les commerces du centre-ville.

La récolte de Léo ne fut pas bonne : aucun mégot utilisable dans les cendriers qu’il avait visité. De plus, l’incendie de la nuit dernière avait rendu inaccessible quelques-uns de ses meilleurs points de collecte. Il observa de loin les gens en uniforme qui s’affairaient derrière les rubans jaunes délimitant le périmètre de sécurité. Il se dit qu’ils ne trouveraient rien, eux non plus, et reprit le chemin qui mène à son appartement.

Il croisa la Dame au chapeau, c’est ainsi qu’il l’avait baptisée. Elle aussi observait les uniformes, juste à l’extérieur de l’espace interdit. Il se dit « Elle aussi a perdu un point de collecte, du moins pour le moment ». Léo la connaissait depuis longtemps, des années. Il ne lui avait jamais parlé. Mais il savait qu’elle faisait la tournée des conteneurs à déchets ou à recyclage. Elle remplissait son petit chariot de broche avec toutes sortes d’objets trouvés dans ces conteneurs : elle recyclait. Léo croyait qu’elle en vendait une partie à un commerce d’objets usagés, il ne savait pas ce qu’elle faisait avec ce qui lui restait. De toute façon, ce n’était pas important. « Chacun ses affaires ! », se dit-il.

 

Normand Jubinville

Le centre-ville de Sherbrooke est victime d’une série d’incendies criminels. Lorsqu’une personne y perd la vie, l’équipe de l’inspecteur Boileau est chargé de l’enquête.            

Le seul suspect est Léo, qui traîne souvent autour des commerces. Mais Léo souffre d’une maladie mentale qui le rend imprévisible et très difficile à interroger. Comment découvrir la vérité et surtout comment obtenir des preuves irréfutables ?

Pendant environ une heure quarante-cinq de lecture, vivez les péripéties de cette aventure policière.

La murale

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