Sommaire
CROYANCES ET SUPERSTITIONS
Le spiritisme
Le magnétisme
La télépathie
En résumé
La réforme du sénat
L’esprit public
Les lettres de Cicéron
Lettres de Pline
La femme dans l’antiquité
Hommage à un Canadien-français
L’énergie au point de vue national
L.-O. Taillon
La grande fête nationale de 1874
Le Monument National
Les résolutions adoptées par les Patriotes
Le Monument des Patriotes
Conclusion
Des livres captivants
Mot de la fin
Note à propos de la couverture : Fête nationale du 24 juin 1874 à Montréal.
L’énergie au point de vue national
L’énergie a toujours joué un grand rôle dans les destinées des peuples et des individus. C’est elle qui assure leur force, leur grandeur et leur influence. Sans elle, les plus grands talents, les génies les plus puissants sont plus ou moins incomplets et stériles. Elle a été la qualité dominante de tous les grands peuples, de tous les grands hommes, de tous ceux qui se sont illustrés, qui ont acquis la gloire ou la fortune.
Rien de plus clairement établi par l’histoire ancienne et moderne, par l’expérience de tous les temps, de tous les pays. Depuis des siècles, on célèbre les actes d’énergie accomplis par les Grecs et les Romains, et on rapporte les moyens extraordinaires, cruels même employés par ces deux grandes nations pour faire de leurs citoyens des hommes énergiques, capables de tout entreprendre, de tout souffrir, de braver tous les dangers.
On n’a pas besoin de recourir à l’antiquité pour savoir ce que l’énergie peut produire. L’histoire de la guerre qui vient de ravager le monde en fournit des preuves éclatantes. À quoi la France doit-elle son salut ? À l’énergie constante qu’elle n’a cessé de déployer pendant cinq ans dans la lutte la plus terrible, la plus dangereuse qu’elle ait subie depuis son existence.
Il y a quelques années, un écrivain français faisait une conférence ayant pour titre : « Napoléon, professeur d’énergie » et démontrait de la façon la plus intéressante, que ce grand homme devait à son énergie autant qu’à son génie tout ce qu’il avait accompli de grand, de glorieux.
Mais pourquoi sortir de notre pays pour trouver des exemples d’énergie ? Notre histoire en fourmille. Depuis la fondation du Canada jusqu’à nos jours, elle en offre par centaines à notre admiration.
Ce qu’il a fallu d’énergie pour fonder la Nouvelle-France, pour créer sur les bords du Saint-Laurent une nationalité canadienne-française, en dépit de tous les obstacles, de tous les dangers et des souffrances suscités par une nature inclémente et des sauvages barbares et cruels, est incroyable.
L’histoire des hommes n’offre rien de plus beau que l’énergie héroïque des Champlain, des Maisonneuve, des Dollard, des LeMoyne, des d’Iberville. Et ce qu’on appelle le « Miracle canadien » ou le miracle de notre survivance est dû à l’énergie constante, persévérante et infatigable de notre population, au travail ardu de nos colons, de nos défricheurs, au dévouement de notre clergé, de nos institutions religieuses, de nos communautés d’hommes et de femmes, de nos éducateurs laïques.
On oublie trop ce qu’il faut de courage constant pour se dévouer pendant des années à l’éducation et au soin de ses semblables sans aucun intérêt humain, sans autre motif que celui de faire son devoir envers Dieu et ses semblables.
Car l’énergie n’est pas seulement admirable chez les grands, elle l’est peut-être davantage chez les petits, chez les humbles, chez ceux qu’aucun intérêt terrestre ne stimule. Et que dire de l’énergie de nos mères de famille qui pendant une longue vie se soumettent aux charges d’une maternité si onéreuse et donnent à la patrie les nombreuses générations qui en font la force et la grandeur !
La politique ne les détournera pas, je l’espère, des devoirs que leur noble mission leur impose dans l’intérêt de la famille et de la nationalité. Elles continueront de préférer exercer leur heureuse influence au sein de la famille que dans les parlements où elles seront plus ou moins déplacées physiquement et moralement.
Jusqu’à présent je n’ai envisagé que les bons côtés de l’énergie, mais il faut bien reconnaître que, à l’exemple des plus belles et des plus fortes facultés de l’âme, elle est puissante pour le mal comme pour le bien. Tout dépend de la façon dont elle est dirigée par la raison et les sentiments.
Inspirée ou dirigée par la religion, le patriotisme et l’amour du prochain, elle produit des saints, des héros, des bienfaiteurs de l’humanité. Alliée à un esprit méchant, elle enfante les grands criminels.
L’expérience démontre aussi que plus l’énergie est grande plus elle a besoin d’être contrôlée, dirigée par un jugement sain, par une raison froide. Une volonté faible, à la merci d’une imagination brillante ou de fortes passions produit des vies irrégulières, pleines d’erreurs et de fautes.
Mais que faire, dit-on, lorsqu’on est venu au monde sans énergie ? À cette question que l’on pose souvent, la réponse est facile. L’énergie, comme les autres qualités de l’âme, peut s’acquérir par la réflexion, par l’entraînement, par la lutte, une lutte constante, persévérante.
Chaque effort pour résister à une mauvaise pensée, à un mauvais sentiment, fortifie la volonté, la fait monter d’un cran. Croit-on que les Augustin, les François de Sales, les Vincent de Paul sont devenus saints du premier coup, sans lutte, sans combat ?
L’un de mes amis avait contracté le goût des boissons fortes à un tel point que sa santé en souffrait sérieusement. Un jour, son médecin lui dit que s’il continuait de boire, il ne vivrait pas longtemps.
« Puisqu’il en est ainsi, dit-il, je n’ai pas le droit de détruire ma vie au détriment de ma femme et de mes enfants ».
Il fit la promesse solennelle de ne plus boire. Il y fut fidèle et il mourut à un âge avancé. Mais il disait souvent les efforts qu’il lui avait fallu faire pour briser sa volonté, pour être maître de sa passion.
J’ai déjà parlé des moyens employés par les Japonais pour donner de l’énergie à des enfants faibles et timides. Un père, par exemple, enverra son fils porter pendant la nuit un objet quelconque dans un cimetière, il le fera lever à quatre heures du matin pour le soumettre aux exercices les plus violents et les plus propres à le fortifier. Le procédé est cruel, barbare même souvent, mais il produit des résultats merveilleux. Il forme des hommes dont l’héroïsme a fait l’admiration du monde entier dans la guerre russo-japonaise.
Il n’y a pas de doute que le zèle religieux, l’enthousiasme patriotique, l’ambition et le pouvoir enfantent souvent des actes d’énergie. Mais l’énergie la plus méritoire est celle qui dure, qui se manifeste non pas seulement une ou plusieurs fois sous l’empire d’un sentiment puissant, d’une grande exaltation, mais toujours, dans tous les actes d’une vie longue.
L’expérience démontre qu’une intelligence ordinaire servie par une forte volonté a souvent plus de valeur et de succès qu’un talent brillant dénué d’énergie.
De tous les hommes distingués que j’ai connus, sir Georges-Étienne Cartier était le type le plus accompli de l’énergie personnifiée. Tout chez lui dans son extérieur, dans sa façon de parler et de marcher, dans son regard, dans tous ses mouvements, annonçait un homme déterminé, à la volonté forte, inébranlable, un lutteur sans peur et sans merci.
Lorsqu’il parlait dans la Chambre ou sur un husting, les mouvements de sa formidable mâchoire menaçaient de broyer ses adversaires. Son énergie a pu, dans certains cas lui faire commettre des erreurs, mais elle nous a rendu de grands services dans des circonstances où une volonté faible aurait pu nous faire beaucoup de mal.
Chapleau, enfant gâté de la nature, avait une volonté vacillante, à la merci des événements, et des circonstances. Mais il avait tant de talent, il avait une éloquence si séduisante, il y avait tant de charme dans son extérieur et sa voix, qu’il ne sentit jamais assez le besoin de faire de grands efforts pour réussir, pour être admiré, adulé même.
Mercier avait plus de volonté, ainsi que le démontrent son extérieur, sa vigoureuse organisation physique, son éloquence véhémente et argumentative. Il en a donné une preuve convaincante dans le règlement de la question si épineuse des biens des Jésuites.
Il a fait, à cette occasion, ce qu’aucun autre homme d’État n’avait osé entreprendre. Il en a encore donné la preuve lorsque de 1882 à 1886, à la tête d’une quinzaine de députés libéraux, il entreprit de démolir le gouvernement des Mousseau, des Flynn et des Taillon. Ceux qui l’ont vu aux prises avec ces hommes distingués n’oublieront jamais la vigueur et le talent qu’il déploya dans cette lutte, qui, grâce à la question Riel, se termina par l’écrasement du parti conservateur.
Laurier, si doux, si patient, si indolent même dans les choses ordinaires de la vie, avait de l’énergie par devoir, lorsque l’intérêt de son parti ou de son pays l’exigeait, et alors il se transformait et déployait dans ses actes comme dans ses paroles une vigueur étonnante. Rien ne pouvait l’empêcher de dire et de faire ce qu’il croyait juste, opportun, nécessaire.
Ma conclusion est facile à deviner.
Il est opportun, nécessaire de former des hommes de volonté forte, capables de résister aux mauvaises influences, de poursuivre un but louable avec patience et persévérance, de remplir leurs devoirs de chrétiens et de citoyens, de lutter, de faire des sacrifices pour le triomphe d’un principe juste, d’un sentiment noble, d’une cause nationale, et de mériter la confiance de leurs compatriotes et même l’estime de leurs concitoyens d’origine anglaise.
Tous nos collèges, toutes nos maisons d’éducation devraient être des écoles d’énergie.