Forestiers et Voyageurs
À l’époque des défricheurs dans les grandes étendues du Québec.
Ces moeurs et légendes canadiennes ne se retrouvent pas ailleurs, à ma connaissance.
Des hommes qui ont construit un nouveau pays.
Leur entrain, leur façon de gagner leur vie, etc.
À vous de les découvrir !
Sommaire
Prologue
La montée aux chantiers
Camp dans un chantier
Mon ami François
Le père Michel
Une pêche au flétan
Cuisiner au camp
L’arrivée des travailleurs
Un compérage (baptême)
Peine à s’éloigner de sa paroisse
Chez le seigneur de Kamouraska
Espadon contre baleine
Le feu dans la Baie
Coundo le passeur de Mitis
La pause du soir
Ikès le jongleur
Le passage des murailles
Les chaloupiers
Le Père Le Courtois
Le père Labrosse
Les Postes-du-Roi
Un vœu qui soulage
Ajournement des histoires
La matinée dans les bois
L’exploitation forestière
La descente des billots
Vers les Pays-d’en-Haut
La seconde histoire
La ronde des voyageurs
Cadieux, le Canadien
Mais où est-il ?
Baptême d’un nouveau Voyageur
Les échanges
Le grand-lièvre et la grande-tortue
La conteste entre les compagnies du Nord
Au fort William
Les hommes-de-cages
Les cribes et les drames
La chapelle de Portneuf
La bonne Sainte-Anne-du-Nord
Camp dans un chantier
Le site du camp occupe un petit plateau, pas assez élevé pour être trop exposé, mais assez pour ne pas être incommodé par l’eau dans les dégels. Dans le voisinage immédiat coulent les eaux saines et abondantes d’une rivière ou d’un ruisseau.
L’emplacement nécessaire a été soigneusement débarrassé. Sur le sol de cette petite trouée faite au milieu de la forêt, s’élèvent les édifices de l’établissement. C’est d’abord le camp proprement dit, maison, case ou cabane, destiné au logement du personnel, puis une écurie pour les chevaux, et enfin des abris, faits pour recevoir et protéger des objets de consommation, des ustensiles, etc.
Autour de ces constructions sont épars des barils vides, des tas de bois. Auxquels s’ajoutent, quand les hommes sont entrés le soir et les jours de dimanches et fêtes, des traîneaux renversés sur le côté, des raquettes et autres instruments, plantés dans la neige ou disposés près de la porte du camp et de l’écurie.
Les édifices d’un chantier sont construits de troncs d’arbre non équarris. Ces morceaux de bois ronds sont ajustés aux angles au moyen d’entailles, pratiquées aux faces supérieure et inférieure des deux extrémités de chaque pièce. D’où vient à cette espèce de construction le nom de charpentes à têtes.
Les interstices entre les pièces sont calfeutrés avec de la mousse ou de l’écorce de cèdre. Le toit est formé de planches fendues et dressées à la hache, lesquelles, dans le vocabulaire de nos forestiers, portent le nom d’éclats. Les planchers de haut et de bas sont faits de petites pièces grossièrement équarries.
L’intérieur du logement des hommes de chantier se compose d’ordinaire d’une seule pièce. Tout autour de cette pièce règne une rangée de lits ou couchettes, dont les ais sont fixés aux lambris. Le plancher des couchettes est formé de petits barrotins, recouverts d’une couche plus ou moins épaisse et plus ou moins bien arrangée de branches de sapin, selon le sybarisme de l’occupant. Un oreiller, dont ni la matière ni la forme ne sont prescrites par le règlement, et des couvertures de laine complètent la literie des hommes de chantier.
Un poêle, dont le tuyau traverse le toit, occupe d’ordinaire le centre du logis, entouré le soir de mitasses, de chaussettes, de mitaines qu’on fait sécher pour le lendemain. Dans les chantiers de l’Ottawa, le poêle est remplacé par un âtre de sable encaissé, qu’on élève au centre du logis. La fumée s’échappe par une ouverture carrée ménagée dans le toit.
Une table à tréteaux, quelques sièges rustiques, des ustensiles de cuisine et de table, quelques outils, une meule et des pierres à aiguiser, un miroir, quelques montres, un ou deux fusils et le modeste nécessaire de toilette de chacun complètent tout l’ameublement du camp.
J’ai parlé des sièges. Il en est une espèce particulière aux chantiers, laquelle prête aux formes les plus variées et les plus pittoresques. Je connais certains ébénistes forestiers qui possèdent un talent remarquable dans ce genre de travail.
Ces sièges sont confectionnés sans tour, et sans avoir recours au système coûteux et peu sûr des mortaises, clous, chevilles, vis et colle forte. Les branches d’un sapin en forment les pieds (quelquefois les bras et le dossier). Une partie du tronc de l’arbre, façonné selon le goût et la patience de l’ouvrier, en constitue le siège.
La chronique rapporte que le premier siège, style chantier, qui fut produit, avait quatre pieds. Il était ainsi fait que quelqu’un, entrant le soir dans le camp, le prit tout bonnement pour la chienne du contremaître. De là vient qu’on nomme ce siège une chienne, et qu’il est, par conséquent, fort comme il faut de dire dans les chantiers, à celui qui se trouve de service à l’arrivée d’un étranger :
« Présente donc une chienne à monsieur », ou à l’étranger lui-même : « Monsieur, veuillez vous asseoir sur cette chienne. »
Disons un mot, maintenant, du personnel des chantiers et de l’organisation sociale et hiérarchique de cette société des bois. Naturellement, le chiffre de la population varie selon l’importance de l’exploitation et la richesse de la portion de la forêt soumise à cette exploitation.
Mais si la population d’un chantier, quel que fût son chiffre, défilait devant vous dans l’ordre des préséances, voici le rang relatif que chacune de ses diverses classes occuperait : 1. le contremaître ; 2. les bûcheurs ; 3. les charretiers ; 4. les claireurs ; 5. le couque.
Le contremaître et le couque sont des fonctionnaires uniques dans leurs attributions. Les autres sont des travailleurs, dont le nombre proportionnel varie selon les circonstances de temps et de lieu.
Le contremaître est le dépositaire absolu, par la volonté du bourgeois propriétaire, de l’autorité sociale de la communauté. Il pose et résout les questions, donne des ordres, tranche et agit selon son bon plaisir, et ne doit compte de son administration qu’à celui qui l’a envoyé.
Le couque, bien que venant en dernier lieu dans l’ordre hiérarchique, sert véritablement sans préjudice à ses fonctions de cuisinier, de ministre de l’intérieur au contremaître.
Les bûcheurs abattent les arbres propres à l’exploitation, et séparent du reste les parties qui ne conviennent pas comme bois de commerce. Dans les chantiers où l’on manufacture du bois carré, les bûcheurs se partagent en trois catégories. Ceux qui abattent les arbres, ceux qui les dégrossissent, qu’on appelle piqueurs, et ceux qui finissent l’équarrissage, lesquels reçoivent le nom de doleurs ou de grand-haches.
Les charretiers chargent les pièces de bois sur leurs traîneaux, de forme particulière, et les conduisent à la jetée, sur le bord de la rivière flottable la plus voisine. La jetée est ainsi appelée, parce que les pièces de bois, amassées dans cet endroit, sont précipitées toutes ensemble dans la rivière au printemps, quand la fonte des glaces et de la neige permet de commencer la descente vers le moulin à scie ou le lieu de départ pour le port d’embarquement.
Les claireurs débarrassent les endroits de halage des arbres et branches qui font obstacle. Ils établissent les chemins, les foulent avec les pieds, les arrangent avec la pelle et les entretiennent ainsi, tout l’hiver, dans le plus parfait ordre.
Les devoirs et les attributions de ces divers états, les droits et les prérogatives qui en découlent sont réglés et définis par les us et coutumes des chantiers, sans constitution écrite et toujours sous le bon plaisir législatif, administratif et judiciaire du contremaître.
Tous les détails, que je viens de résumer en peu de mots, je les avais étudiés au camp où nous avions fait étape, avec l’aide de notre excellent hôte, le contremaître, pendant que le couque nous préparait un de ses meilleurs dîners, avec un zèle que je dois à la justice de reconnaître.
Je constate que nous dinâmes, que le dîner, fait conscience et libéralement offert, fut accepté et même mangé.
Ce dîner fut suivi d’un petit quart d’heure de récréation après lequel notre caravane se remit en route.
Je ne cheminai pas longtemps dans la société de mes compagnons. Car notre destination n’était pas la même. Tout le convoi prit bientôt une fourche de chemin qui devait le conduire à un camp, où l’on devait arriver tard le soir. Et moi je continuai seul ma route, vers un établissement que j’avais de bonnes raisons de préférer aux autres.
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