Prologue
La Légende de la Jongleuse est une vieille histoire du temps passée que l'auteur a recueillie, il y a bien des années, sur les lèvres des anciens conteurs de sa paroisse natale.
Elle retrace un de ces actes d'atrocité incroyables que les Sauvages d'Amérique commirent si souvent contre les Pionniers de la Foi et de la Civilisation, et qui semblent avoir attiré sur toutes les races indiennes cette malédiction qui plane encore sur leur tête.
Le Sauvage, a dit le Comte de Maistre, n'est et ne peut être que le descendant d'un homme détaché du grand arbre de la civilisation par une prévarication quelconque.
Cette hypothèse expliquerait la disparition si prompte des nations indiennes à l'approche des peuples civilisés.
Mais, sans recourir à ce problème, nous n’hésitons pas à attribuer leur anéantissement à ces inqualifiables barbaries dont ils se rendirent tant de fois coupables envers les Missionnaires et les premiers colons qui venaient leur apporter le flambeau de la Vérité.
La Légende de la Jongleuse se mêle aux premiers souvenirs d'enfance de l’auteur. Et il se rappellera toujours l'effet prodigieux que produisit sur sa jeune imagination le récit de ce drame que l'amour du merveilleux, inné dans le peuple, enveloppait de tout le prestige de l'inconnu.
Aussi a-t-il essayé, dans sa narration, de faire ressortir, en le poétisant, ce caractère fantastique, afin de conserver à la légende toute son originalité.
Ne vous êtes-vous pas extasié parfois devant le sublime panorama de notre Grand Fleuve, quand, par un beau soir d'été, bien calme, il reflète, dans le miroir limpide ses grandes eaux, le superbe turban des Laurentides ?
Telle est l'idée que nous nous formons de la Légende.
C'est le mirage du passé dans le flot impressionnable de l'imagination populaire. Les grandes ombres de l’histoire n'apparaissent dans toute leur richesse qu'ainsi répercutées dans la naïve mémoire du peuple.
Telle est aussi l'idée que nous avons essayé d'exploiter en esquissant la Légende de la Jongleuse : — d’un côté, le tableau historique, conservé sur des monuments encore existants, — de l'autre l'image féerique, reflétée dans l'onde populaire.
Comme preuve historique, — outre le nom de la paroisse de la Rivière-Ouelle (Rivière-Houel) qui tire son origine du nom des deux principaux personnages de ce drame, — nous indiquerons les traces évidentes, laissées sur les lieux mêmes de l'événement, dans les noms qui les désignent encore aujourd'hui.
Quant à la partie légendaire, il suffira d'un seul coup d'oeil du lecteur pour faire la part du merveilleux.
Les voyageurs de nuit
C’était une nuit d'automne, sombre et brumeuse. Un canot d'écorce se détachait silencieusement du rivage de Québec à quelques pas de l'endroit où s’élève la vieille église de la Basse-Ville.
Sur le sable de la grève, un homme était debout tenant à la main une lanterne sourde dont le cône lumineux dirigé vers les flots éclairait le canot monté par quatre personnes.
...