Le défricheur

Jean Rivard

 

Le défricheur Jean Rivard



Qu’est-ce qui décide un jeune homme à choisir le métier de défricheur plutôt que celui d’avocat ?


Quelles sont les privations et les richesses dans ces deux choix de carrière ?


àVoyez la façon dont Jean Rivard s’y est pris.


Sera-t-il indépendant un jour ?


À vous de le découvrir…

Une prédiction



Autant notre héros avait paru morose et soucieux à son départ, autant il paraissait heureux à son retour. Il était rayonnant de joie. On peut s'imaginer combien sa bonne mère qui n'avait cessé de penser à lui durant son absence fut heureuse de le voir revenu sain et sauf.


Ses frères et soeurs firent bientôt cercle autour de lui pour lui souhaiter la bienvenue et savoir l’histoire de son voyage.


— Eh mais ! dit sa jeune soeur Mathilde, comme te voilà radieux ! Aurais-tu par hasard fait la rencontre de quelque jolie blonde dans le cours de ton excursion ?


— Oh ! bien mieux que cela, répondit laconiquement notre héros.


— Comment donc ! mais conte-nous cela vite, se hâtèrent de dire à la fois tous les frères et soeurs, en se pressant de plus en plus autour de lui !


— Eh bien ! dit Jean d'un ton sérieux, je suis devenu propriétaire. J'ai maintenant à moi, en pleine propriété, sans aucune redevance quelconque, sans lods et ventes, ni cens et rentes, ni droit de banalité, nidroit de retrait, ni aucun autre droit quelconque, un magnifique lopin de cent acres de terre...


— Oui, de terre en bois debout, s'écria le frère cadet, on connaît cela. La belle affaire ! comme si chacun ne pouvait en avoir autant ! Mais, dis donc, Jean, continua-t-il, d'un ton moqueur, est-ce que celui qui t'a cédé ce magnifique lopin s'engage à le défricher ?


— Nullement, repartit Jean, je prétends bien le défricher moi-même.


— Oh ! oh ! dirent en riant tous les jeunes gens composant l'entourage, quelle belle spéculation ! mais sais-tu Jean, que te voilà devenu riche ? Cent arpentsde terre à bois mais c'est un magnifique établissement…


— Si tu te laisses mourir de froid, disait l’un, ce ne sera pas au moins faute de combustible.


— À ta place, disait un autre, je me ferais commerçant de bois.


Jean Rivard écoutait ces propos railleurs sans paraître y faire la moindre attention. Il laissa faire tranquillement, et quand les quolibets furent épuisés :


— Riez tant que vous voudrez, dit-il, mais retenez bien ce que je vais vous dire : J'ai dix-neuf ans et je suis pauvre. À trente ans, je serai riche, plus riche que mon père ne l’a jamais été. Ce que vous appelez par dérision mon magnifique établissement vaut à peine vingt-cinq louis aujourd'hui, il en vaudra deux mille alors.


— Et avec quoi, hasarda l'un des frères, obtiendras-tu ce beau résultat ?


— Avec cela, dit laconiquement Jean Rivard, en montrant ses deux bras.


L'énergie et l'air de résolution avec lesquels il prononça ces deux mots firent taire les rieurs, et électrisèrent en quelque sorte ses jeunes auditeurs.


Il se fit un silence qui ne fut interrompu que par la voix de la soeur Mathilde qui tout en continuant son travail de couture, murmura d'un ton moitié badin, moitié sérieux :


— Je connais pourtant une certaine personne à qui ça ne sourira guère d'aller passer sa vie dans les bois.


Cette remarque à laquelle Jean Rivard ne s'attendait pas le fit rougir jusqu'au blanc des yeux, et sembla le déconcerter plus que toutes les objections qu’on lui avait déjà faites.


II se rassura pourtant graduellement, et après avoir pris congé de la famille se retira sous prétexte de se reposer, mais de fait pour rêver à son projet chéri.

Mots clés : Le défricheur Jean Rivard,  Gérin-Lajolie, défrichement  tered à bis, avocat,  Soirées canadiennes, Québec,

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