Réflexions d’un peintre genevois, No 6
 

Vous êtes un artiste ou aimeriez l'être ? Vous vous intéressez aux Beaux-Arts ?

M. Töpffer donne beaucoup de conseils éclairant, autant sur la conscience des choses que la technique pour y arriver.

Sommaire


Prologue

LIVRE PREMIER

1. L'homme a six sens

2. Comment s'embrouiller à vue d'oeil

3. Comment décrire un pur sentiment

4. Se tirer d'affaire

5. La bosse

6. Vers les beaux-arts

7. Comment l'auteur se met à divaguer

8. Où l'auteur divague moins

9. Un chiffon de papier

10. Se mêler de ce qui ne le regarde pas

11. L'auteur retrouve sa route


LIVRE DEUXIÈME

A. Au sujet de ce livre

B. D'une contradiction apparente

C. Des Chinois de la Chine

D. L'encre de Chine

E. Le Père Duhalde et sa recette

F. Des donneurs de recettes

G. L'affection qu'on porte aux objets inanimés

H. Mon bâton d'encre de Chine

I. Du pinceau

J. Du papier

K. Où l'auteur se prend de paroles avec un philosophe

L. Un quatrième instrument

M. Du maitre par excellence

N. Des maitres en général

O. Où l'auteur s'écarte de l'opinion commune

P. L'étude des grands maitres

Q. Les morts ne sont pas les seuls bons maitres

R. L'auteur revient à son dire

Des livres captivants

Mot de la fin



LIVRE PREMIER : 1. L’homme a six sens



Les cinq autres sont connus ; reste à démontrer le sixième. C'est difficile, car il n'a pas d'appareil extérieur, comme la vue, l'oeil, l'ouïe, l'oreille. Il est invisible et caché au-dedans du cerveau. Mais il y est, et c'est de cette retraite mystérieuse qu'il domine ses cinq frères et les fait servir à ses fins.


En effet, par les yeux nous voyons, par le nez nous flairons, par l'ouïe nous entendons. Mais qu'est-ce que voir, ouïr, flairer ? Pour la brute aussi, la feuille est verte, le ciel éclatant, la fleur odorante. Elle a ces perceptions par cinq sens, mais rien au-delà, faute du sixième.


Chez l’homme seul fut placé ce sixième sens ; le rudiment en est dans tous les cerveaux de l'espèce humaine ; seulement chez les uns il se développe, chez les autres il avorte ou reste oisif.



2. Comment s’embrouiller à vue d’oeil



Comment l'auteur escamote la description de ce sixième sens et s’embrouille à vue d’oeil. Je vais dire comment on le nomme par le monde. C'est plus aisé de le désigner que de le décrire. Les uns l'ont appelé la poésie de l'esprit, disant d'un tel en ce sens : Il a de la poésie dans l'esprit. Les autres, plus voisins de l'acception que j'ai en vue, l'ont appelé la bosse des beaux-arts, disant en ce sens : Il a la bosse, de gens qui n'étaient pas du tout bossus.


Mais que voit-il, que sent-il, ce sixième sens ? Il flaire, il entend, il voit, il touche, en un mot, il réunit les fonctions des cinq autres, mais dans un monde idéal où les cinq autres n'ont pas l'entrée.


J'ai parlé de la feuille, du lac, du ciel, eh bien ! à toutes ces choses, il goûte un charme qui ne tient ni au vert, ni au bleu, ni à l'éclat. Un charme dont ces perceptions sont bien l'occasion, mais non pas l'objet. Qu'elles excitent, provoquent, mais qu'elles ne sauraient produire par elles seules.


Je puis affirmer que ce charme existe. Mais comment le peindre ? Quand on le veut fixer, il se dissipe. Quand on le veut saisir, il s'échappe. Quand on y parvient, il se fane à l’instant.