Sommaire
Prologue
Töpffer Romancier
Charles et Louise
Rosa et Gertrude
Töpffer Touriste
Ces courses à la découverte
Les colorieurs
Töpffer Esthéticien
Le beau
Töpffer Journaliste
Sa joie de vivre
Rendre service à son pays
L’indifférence le gêne
Maladie de Töpffer
À Vichy
Töpffer se meurt
Mot de la fin
Des livres captivants ?
Töpffer Romancier
Le 1er janvier 1832, la Bibliothèque universelle publiait une nouvelle de trente et quelques pages, intitulée La Bibliothèque de mon Oncle. Elle était anonyme, mais le public de Genève ne s'y trompa point.
Töpffer, son auteur, s'était déjà exercé à quelques morceaux de critique d'art. Il avait fait, en 1826 et en 1829, ce que nous appellerions le Salon de peinture. Il s'y était révélé écrivain, et sa prose n'avait plus besoin d'être signée pour lui appartenir.
L’admiration de la ville entière lui apprit que, pour son coup d'essai dans la littérature d'imagination, il avait fait un coup de maitre. Il dut non seulement avouer son oeuvre, mais en donner immédiatement une édition séparée. Toujours circonspect, il fit tirer à 400 exemplaires et crut avoir encombré la terre1. Six mois après, c'était à recommencer.
Le fait est qu'il avait rencontré là, sans le chercher, le sujet le mieux approprié à son tempérament littéraire, qui était fait de finesse plutôt que de force, de délicatesse plutôt que de vigueur. La Bibliothèque de mon Oncle ne comprenait à l'origine que la partie moyenne de l'opuscule actuel2 : l'histoire de cette belle et docte Juive, la première ou plutôt l’avant-première passion du neveu de l’oncle Tom.
Töpffer a traité supérieurement ce morceau, un peu noyé maintenant dans l'ensemble de la nouvelle. Observation pleine de vérité, plaisante et touchante tour à tour. Émotion sincère, doucement mélancolique et toujours naturelle. Peinture de ce que tout le monde a ressenti à un moment de sa vie, et n'a jamais plus oublié. Tout y est.
Et quel charme dans les trois personnages qui composent à eux seuls tout le tableau ! Jules, si curieusement flâneur à la fenêtre, et qui observe d'un oeil si candide les premières agitations de ses quinze ans. L'oncle Tom, l'excellent, le brave oncle Tom, qui, pour avoir trop vécu avec les livres, ignore si profondément l'art de vivre avec les hommes.
La Juive enfin, qui lit l'hébreu comme un ange, qui est instruite et sérieuse au point de « préférer l'édition de Sannazar », charitable et dévouée au point de se consacrer au soin des malades dans un hôpital, et poétique au point d'en mourir ! – Töpffer ne devait point dépasser cette première bluette, non pas même dans le Presbytère quoi qu'en dise Sainte-Beuve.
Plus dramatique, avec des incidents plus romanesques, ce nouvel opuscule, publié la même année, n'atteint pas au charme simple et à l'exquise délicatesse de son ainé. Il n'était, d'ailleurs, qu'un commencement dans la pensée de son auteur.
En le composant, Töpffer rêvait d'un long roman de moeurs, à la façon de Clarisse Harlowe, où l'humanité serait peinte au moyen des agitations domestiques d'une seule famille.
Mais il voyait cette oeuvre telle qu'elle était, c'est-à-dire longue et difficile. Il s'y mit doucement, sans hâte comme sans négligence, se tenant en haleine, et exerçant souvent son imagination dans de petites nouvelles du genre de celles qu'il venait de publier.
Il fit ainsi successivement : la Peur (reproduit dans un prochain ebook), en 1833 ; l’Héritage, en 1834, ainsi que Elisa et Widmer3, où il cherchait des couleurs pour le tableau de la mort de Louise.
Il avait songé aussi à compléter l'histoire de la jeunesse de Jules, le héros de la Bibliothèque de mon Oncle. Le commencement en parut sous le titre de Les Deux Prisonniers (présenté dans un prochain ebook), dans la Bibliothèque universelle de novembre 1836. C'est l'enfance de Jules qui y était racontée, et on ne la trouva point indigne de l'adolescent que l’on connaissait.
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