La vengeance des Trépassés

 

Ce feuilleton hebdomadaire, publié à Paris dans l’Illustration en 1843 est signé par F. G. seulement.


Il raconte une histoire étonnante à propos de revenants qui se vengent après leur mort.


Au pays des monastères et des châteaux, certains personnages fort étranges habitent parfois ces lieux.


À vous de les découvrir ! Ils vous surprendront, assurément !

Sommaire



Au couvent

Le plan

La maison isolée

Vous eussiez mieux fait de rester dehors

Sortir d’ici

Le moulin

La famille de Ponce-Pilate

La Bohémienne

Des prédictions

La Terre-Sainte

Le domaine de Reichenau

Aventure de Dom Sulzer

Léonor trouve le repos

La naissance d’un fils

La malédiction

Une apparition

Philosophie

Folie

Adieux

Se réfugier loin du monde

Soeur Sainte-Léonore

Conclusion



Au couvent



— Tranquillisez-vous, madame, dit le docteur à l’abbesse. Cette chère enfant est en pleine convalescence. Demain ou après elle pourra aller et venir comme à l'ordinaire et reprendre la suite de ses pieux exercices.


— Vous croyez, docteur ?


— J'en suis sûr, madame. La fièvre a disparu. Il ne reste qu'un peu d'irritation nerveuse et la faiblesse naturelle après huit jours de diète.


— Allons, je m'en vais transmettre sur-le-champ cette bonne nouvelle à son oncle l'archevêque. Son Éminence sera ravie, car ce vertueux prélat vous chérit comme si vous étiez sa fille. N’est-ce pas, Léonor ?


— Il est vrai, madame.


Ce dialogue avait lieu le soir, dans la cellule et au pied du lit de la novice. Tout à coup une voix jeune et sonore, une voix d'homme, chanta sous la fenêtre :


Marinero del onda,

Ayole !

En un arrojo

Hecha tu al golfo...

Que tu dicha consiste

En un arrojo.


— Qu'est-ce que cela ? demanda l'abbesse d'un air surpris et mécontent.


— Madame, répondit la tourière, qui faisait l'office de garde-malade, c'est un boléro très à la mode, car je l'ai souvent entendu en allant par les rues de Madrid. On le chante ordinairement à deux voix.


— Ce n'est pas ce que je veux savoir, mais bien qui ose se permettre de faire entendre ces airs profanes dans l'enceinte du monastère.


— Madame, c'est le garçon du jardinier qui arrose les myrtes. Je l'entrevois dans le crépuscule. Il faut lui pardonner, madame. Comme il est tout nouveau céans, il n'est pas encore fait à l'austérité de la règle.


— Dites-lui de se taire.


La tourière sortit dans le corridor, ouvrit une fenêtre et cria :


— Sanche, de la part de Madame, taisez-vous.


La voix se tut.


— Voyez, disait l'abbesse au médecin, voyez comme la moindre circonstance inattendue la trouble et l'agite ! La voilà toute rouge ! Le sang lui porte à la tête, et ses yeux brillent singulièrement ! N'aurait-elle pas la fièvre ?


— Un petit accès, dit le docteur en tâtant le pouls de la malade, ce n'est rien. Cela va passer. Périlla, dit-il à la tourière qui rentrait, vous aurez soin de lui faire prendre d'heure en heure une cuillerée de cette potion calmante qui est sur la table.


— Périlla, vous direz à ce garçon que s'il s'avise encore de chanter, il sera renvoyé.


L'abbesse et le docteur se retirèrent après avoir souhaité une bonne nuit à la malade. Quand ils furent seuls sur le grand escalier de pierre qu'éclairait à peine une lampe suspendue à la voûte :


— Croyez-vous, dit à voix basse l'abbesse, qu'elle soit en état de prononcer ses voeux dans huit jours ?


— Elle les prononcerait dans quatre s'il n'y avait d'autre obstacle que sa santé.


— Le plus tôt sera le mieux. Elle est orpheline. Elle et son frère n'auraient qu'une fortune médiocre s'ils partageaient leur patrimoine. Mais en le rassemblant tout entier sur la tête de don Gusman, qui d'ailleurs est l'aîné, ce jeune seigneur aura de quoi soutenir dignement l'honneur de sa race. Quant à Léonor, avec le nom qu'elle porte et la protection de son oncle, elle est certaine de faire en religion un chemin brillant et rapide. Elle n'est donc pas à plaindre.


— Je la trouve, au contraire, très heureuse.


— Le mal est qu'elle ne sente pas son bonheur. Mais l'on usera de contrainte, s'il le faut. Le seul inconvénient à redouter serait une nouvelle crise, une rechute. Vous comprenez qu'il ne s'agit pas ici d'une crise physique.


— Je comprends. Mais non. Je ne crois pas qu'il y ait danger. Elle me parait avoir réfléchi sur sa position, et s'être décidée à l'accepter.


— Dieu vous entende ! j'aime beaucoup mieux voir les choses nécessaires s'accomplir de bonne grâce que par violence. Bonsoir, docteur. À demain.


— Bonsoir, madame. Je n'y manquerai pas.


— Périlla, dit Léonor aussitôt après leur départ, ma bonne Périlla, voilà bien des nuits que vous passez à me veiller. Vous devez être fatiguée. Il faut vous coucher ce soir. Je suis tout-à-fait bien. Je veux que vous vous reposiez.


— J'en aurais bon besoin, dit Périlla. Mais cela ne se peut.


— Pourquoi ?


— Et cette potion qu'il faut vous donner d'heure en heure ?


— Je la prendrai moi-même. Vous mettrez tout ce qu'il faut sur la petite table, contre mon lit.


— Et si vous vous endormez ?


— En ce cas, je n'aurai pas besoin de calmant. Vous ne me réveilleriez pas pour m'en faire prendre.


— Ah ! c'est vrai. Mais si Madame venait à le savoir ?


— Qui le lui dira ? Personne. D'ailleurs, je prendrais tout sur moi. Je dirais que je l'ai exigé.


— Que vous êtes bonne, mon cher coeur ! Mais n'aurez-vous pas peur, la nuit, toute seule ?


— Peur ! de quoi ?


— Que sais-je ? De la religieuse qui est morte hier, et qu'on a mise ce matin dans les caveaux. Pauvre soeur Dorothée ! Si jolie, et s'en aller à vingt ans ! Quel dommage !


— Quelle était donc sa maladie, Périlla ?


— L'amour, mon enfant, l'amour ! Elle avait une passion qui l'a consumée. Hélas ! je ne devrais pas vous dire cela !


— Pourquoi donc ? dit Léonor étonnée.


— Pourquoi ! pourquoi ! Suffit. Chacun sait ce qu'il sait. Chacun a ses secrets. Je ne vous demande pas les vôtres.


Léonor rougit beaucoup. L’excellente Périlla feignit de ne s'en point apercevoir.


Allons, continua-t-elle en trottant dans la chambre, et apportant les objets à mesure qu'elle les nommait, voici toutes vos petites affaires : la cuiller, la soucoupe, le sucrier, la fiole...


Vous aurez soin de secouer la fiole avant de verser. Nos cellules se touchent. Nos lits ne sont séparés que par une cloison. Si vous avez besoin de moi, vous frapperez. J’ai le sommeil très léger. Bonne nuit, chère enfant, et bon courage.


...

livre rare, La vengeance des Trépassés, F.G., moulin, famille de Ponce-Pilate, domaine de Reichenau, malédiction et apparition, philosophie et folie, couvent et religieuses