Sommaire
Introduction
Vers Sainte-Croix
L’accueil de Bon-Louis
La grande découverte
Une sortie en mer
Je veux être le mousse à La Haye !
Six années avaient passé
Visiter la grotte
Devenue jeune fille
Besoin d’aide
Le repas chez Boirot
Sa maison d’enfance
La récolte du varech
Un sortilège ?
Quels sont ses projets ?
Une oeuvre de sorcellerie
Bon-Louis a de bonnes nouvelles
Faire le tour des terres
Les adieux
Le secret dévoilé
Des nouvelles de Bon-Louis
La marieuse
Vevette accepte
Il aura une permission ?
À la falaise de Jobourg
Bon-Louis débarque à Cherbourg
Une courte apparition à Clairefontaine
Véronique avoue
Se faire pardonner
Bon-Louis rencontre Vevette
La vie à Clairefontaine
Rencontre sur la plage
Dans le jardin
Un mensonge pieux
Son mari est malade
Aller assister son mari
Rencontre furtive
Aubry revient à la maison
Un mari jaloux
D’étranges pensées
L’accident malheureux
Conclusion
L’accueil de Bon-Louis
— Qu'est-ce que tu veux que je fasse de cet enfant-là ?
Artémise Boirot, qu'on appelait familièrement Témise, regarda de travers son mari, qui, penaud, se tenait debout près de la table.
— Tu nous trouves trop riches, n'est-ce pas, que tu nous amènes une bouche de plus à nourrir ?
Boirot continuant à se taire, Témise répéta brutalement sa question :
— Qu'est-ce que tu veux que je fasse de cet enfant-là ?
Bon-Louis réprima le mouvement de colère hautaine qui lui avait fait relever la tête pour braver l’hôtesse maussade. L'éclair de ses yeux bleus s'éteignit subitement, et il sembla se rencoigner dans l'ombre de la table pour échapper aux mauvaises paroles.
Les flammes mouvantes du foyer jetaient des lueurs capricieuses sur les objets aussi bien que sur les hôtes de ce logis primitif. La nuit qui tombait à peine au dehors était déjà faite depuis longtemps à l'intérieur de la maison basse et enfumée.
Mais le feu allumé pour le repas du soir jetait dans l'air une sorte de joie inquiète, instable et fugitive comme la courte flambée des ajoncs que jetait sous la chaudière fumante la main parcimonieuse de la ménagère.
Le long de la muraille, près de la porte, s'étageaient sur l'éyer de chêne les assiettes d'étain estampées au millésime de 1672, côte à côte, avec les plats fleuris de faïence, où une fleur bizarre, d'un style archaïque transmis de père en fils chez des décorateurs sans artifice, s'étale sur un fond bleuté, aussi doux au regard que poli sous la main.
Les flammes dansantes jetaient un point rouge sur une assiette de métal, un point d'argent sur un plat de faïence, puis retombaient soudain comme mortes. La grande vieille armoire de chêne sculpté devenait alors toute noire.
Les lits drapés d'indienne violette, au bout de la salle, prenaient des airs de sarcophages. Seul, le foyer, d'un rouge sombre, vivait encore, comme un oeil courroucé, jusqu'au moment où Témise y jetait une nouvelle flambée d'ajoncs crépitants.
— Vois-tu, ma femme, dit Boirot après un long silence, j'ai amené le petit parce qu'il le fallait.
Artémise haussa les épaules, mais son mari était maintenant décidé à dire ce qu'il avait sur le coeur, et il ne se laissa point troubler.
— Si tu avais vu ce que j'ai vu, reprit-il, tu aurais fait comme moi. Quand je suis allé à Sainte-Croix, je m'imaginais que quelqu'un se serait occupé du petit, que quelques bonnes gens auraient pris soin de lui, comme de son bien.
De son bien, oui. Car je suis arrivé comme on finissait la vente des meubles. J’en avais rencontré sur la route, en m'en venant. Mais je ne pensais pas que c'étaient ceux que notre pauvre grand'mère avait laissés à Mélanie en mourant. Enfin, tout a été vendu pour payer les dettes, car la pauvre cousine avait accepté les dettes de son mari...
— Un joli monsieur ! grommela Artémise en jetant un gros paquet d'ajoncs sous la chaudière.
— C'est son fils qui nous écoute, fit observer doucement Boirot.
La ménagère baissa la tête. Elle était rude, mais point mauvaise au fond, et ne se sentait pas l'envie de blâmer le père mort devant le fils deux fois orphelin.
— Les hardes vendues, reprit le paysan, on a eu de quoi payer tout ce qui était dû, et il est resté quelque chose à Bon-Louis, en même temps que la maison et le bout de jardin.
Pour la maison, quelqu'un du pays avait envie de la prendre, et d'accord avec le notaire, on la lui a louée pour cinquante francs par an, à charge de l'entretenir. D'ailleurs, elle est en bon état et d'ici longtemps n'aura point besoin de réparation.
Mais personne ne s'était inquiété du petit. Il faut pourtant bien que cet enfant vive quelque part, et je l'ai amené ici. Il est courageux et point sot. Il saura se rendre utile et gagner sa nourriture. On lui placera son argent, et quand il sera homme, il se trouvera à la tête de quelques écus.
Témise ne répondit rien, ce qui n'était pas bon signe.
...