Mon frère Yves
 

Un classique, une oeuvre littéraire exceptionnelle. Un chef d’oeuvre de littérature.


Deux marins bretons, l’un plus gradé que l’autre, se lient d’une amitié fraternelle, parfois orageuse. Yves, comme son père et son frère aîné, aime un peu trop l’alcool. Est-ce que ce « je n’étais pas moi » pourra se transformer en autre chose ?

Suivez ce poème de la mer, d’amour et d’amitié, composé de départs, d’escales, de retours, de tempêtes, de discipine, etc. Vous apprécierez grandement !

Sommaire



À Alphonse Daudet

Le livret de marin

Ce petit nouveau venu

À vingt-quatre ans

Son arrivée à Brest

Un lendemain de veille

L’éveil est pénible

Aux fers

La rencontre des deux amis

Revoir Saint-Pol-de-Léon

À la recherche de souvenirs

La bande d’Yves

Les damiers sont là !

L’océan Austral

La perruche n’est plus

Au pays de sa mère

Grande foire à Paimpol

Chez mon ami

Chez Jean, son ami

Cet accueil des Bretons

Souper une seconde fois

La tournée promise

Veiller sur lui ?

Mon frère et moi

Séparation

À bord de la Médée

Barrada

En mer à bord de la Médée

Tempête la nuit

Des rêves

De retour

Jour de grande soûlerie

Les hommes de garde l’emmène aux fers

Sentence

La galerie est sympathique

Le désarmement

La nouvelle

Réunis à bord de l’Ariane

Je l’aurais choisie

Il arrivera pour notre retour

Son frère Gildas

Le petit goéland

Un petit garçon

Il m’attend

C’est lui qu’on berce

Faire acte de citoyens

Les préparatifs du baptême

La journée du baptême

Yves est gris

Promenade

Un petit repos dans notre vie

Elle l’attend dans la rue

Ce n’était plus lui

La nuit

Attendre

Cela devenait une habitude

L'abandonner ?

Petit Pierre n’aime pas Brest

Oh ! la boisson

Lettre à son frère

Visite à Kermadec, à Brest

En rade de Brest

Un clocher dominant

Ivre mort

Marie chez sa belle-mère

Le même amour pour Yves

Premier janvier

À terre

Parler d’avenir

Une visite aux vieux Keremenen

Les contrats

Prendre les mesures

Yves a trente ans

À la fête du village

En mer

Je débarque demain

La lettre d’Yves

En Orient

Mon bon frère

Yves devenu sage

La rechute

Je vous croyais marié ?

S’engager à bord de la Belle-Rose

Revoir Marie

Il n’a pas l’air d’un déserteur

Recoudre ses galons

Dans la mer de Corail

Goulven, le frère de Yves

Accepter de dîner

Le dîner sur le baleinier

Toucher la solde des marins

Barazère est mort

L’obscurité éternelle

Tous dispersés

La vie à bord

Yves est sans reproche

Je pars pour la France

Un jour en Bretagne

Nouvelle de Melbourne

Rencontre de Barrada

Galons d’or

Le bonheur sous ce toit

La vie en Bretagne

Un adieu à la grand-mère

Conclusion

Des livres captivants




La rechute



Un jour, le démon de l'alcool revint passer sur leur route. Yves rentra avec ce mauvais regard trouble dont Marie avait peur.


C'était un dimanche d'octobre. Il arrivait du bord, où on l'avait mis aux fers, disait-il. Et il s'était échappé parce que c'était injuste. Il semblait très exaspéré. Son tricot bleu était déchiré et sa chemise ouverte.


Elle essayait de lui parler bien doucement, de le calmer. C'était précisément une belle journée de dimanche. Il faisait un de ces temps rares d’arrière-automne qui ont une mélancolie paisible et exquise, qui sont comme un dernier repos du soleil avant l'hiver.


Elle s'était habillée dans sa belle robe et sa collerette brodée, elle avait fait la grande toilette du petit Pierre, comptant qu'ils iraient tous les trois se promener ensemble à ce beau soleil doux. Dans la rue, des couples de gens du peuple passaient, endimanchés, s'en allant sur les routes et dans les bois comme au printemps.


Mais non, rien n'y faisait. Yves avait prononcé l'affreuse phrase de brute qu'elle connaissait si bien :


— Je m'en vais retrouver mes amis.


C'était fini !


Alors, sentant sa pauvre tête s'en aller de douleur, elle avait voulu tenter un moyen extrême. Pendant qu'il regardait dans la rue, elle avait fermé la porte à double tour et caché la clef dans son corsage. Mais lui, qui avait compris ce qu'elle venait de faire, se mit à dire, la tête baissée, les yeux sombres :


— Ouvre ! ouvre ! M'entends-tu ? Je te dis de m'ouvrir.


Il essaya de secouer cette porte sur ses ferrures. Quelque chose le retenait encore de la briser, — ce qu’il eût pu faire sans peine. Et puis, non, il voulait que sa femme, qui l'avait fermée, vînt elle-même la lui ouvrir.


Et il tournait dans cette chambre, avec son air de grand fauve, répétant :


— Ouvre ! M'entends-tu ? Je te dis de m'ouvrir !


Les bruits joyeux du dimanche montaient de la rue. Les femmes à grande coiffe passaient au bras de leurs maris ou de leurs amants. Le beau soleil d'automne les éclairait de sa lumière tranquille.


Il frappait du pied et répétait cela à voix basse :


— Ouvre ! je te dis de m'ouvrir !


C'était la première fois qu'elle essayait de le retenir par force, et elle voyait que cela réussissait mal, et elle avait étrangement peur. Sans le regarder, elle s’était jetée à genoux dans un coin et disait des prières, tout haut et très vite, comme une insensée. Il lui semblait qu'elle touchait à un moment terrible, que ce qui allait arriver serait plus affreux que toutes les choses d'avant.


Et petit Pierre, debout, ouvrait tout grands ses yeux profonds, ayant peur lui aussi, mais ne comprenant pas.


— Non ? Tu ne veux pas m'ouvrir ? Oh ! mais je l’arracherai alors ! Tu vas voir !


Une secousse ébranla le plancher, puis on entendit un grand bruit sourd, horrible. Yves venait de tomber de tout son haut. La poignée par laquelle il voulait prendre cette porte lui était restée dans la main, arrachée, et alors, lui, avait été jeté à la renverse sur son fils, dont la petite tête avait porté, dans la cheminée, contre l'angle d'un chenet de fer...


Ah ! ce fut un changement brusque. Marie ne priait plus. Elle s'était levée, les yeux dilatés et farouches, pour ôter son petit Pierre des mains d'Yves, qui voulait le relever.


II était tombé sans crier, ce petit enfant, tout saisi d'être blessé par son père. Le sang coulait de son front et il ne disait rien. Marie, le tenant serré contre sa poitrine, prit la clef dans son corsage, ouvrit d’une main et poussa la porte toute grande... Yves la regardait, effrayé à son tour. Elle s'était reculée et lui criait :


— Va-t'en ! va-t'en ! va-t'en !


Pauvre Yves, — voilà qu'il hésitait à passer ! Il cherchait à mieux comprendre.


Cette porte qu'on lui ouvrait maintenant, il n'en voulait plus. Il avait le sentiment vague que ce seuil allait être quelque chose de funeste à franchir. Et puis ce sang qu'il voyait sur la figure de son fils et sur sa petite collerette...


Oui, il cherchait à mieux comprendre, à s'approcher d'eux. Il passait sa main sur ses tempes, sentant qu'il était ivre, faisant un grand effort pour démêler ce qui était arrivé... Mon Dieu, non, il ne le pouvait pas. Il ne comprenait plus... L'alcool, ses amis qui l’attendaient en bas, c'était tout.


Elle, lui répétait toujours, en serrant son fils contre sa poitrine :


— Va-t'en, mais va-t'en !


Alors tournant sur lui-même, il prit l'escalier et s’en alla...

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