Le Roi des Étudiants
 

On découvre le passé de certains étudiants finissant en médecine.


Vous y découvrirez des histoires qui se passent principalement à Québec ou sur le bord de la rivière Richelieu au Québec.


Que croyez-vous que ce passé aura comme incidence sur le présent ?


Découvrez-le dans ces histoires entre criminels et haute classe de la société. Vous aimerez !

Sommaire


Silhouettes d’étudiants

Paul Champfort

Cousin et cousine

Secret pour secret

Trahison

Le drame de l’îlot

Kingston et Kentucky

On se reconnaît

La Folie-Privat et ses habitants

Première escarmouche

Une évocation inattendue

Petite revue de la situation

Lapierre à l’œuvre

Pauvre Laure !

Louise

Le frère et la sœur

Le Roi des Étudiants entre en campagne

Le premier pas

L’entrevue

Le guet-apens

Deux attentats dans une journée

Une distillerie clandestine

Dans la gueule du loup

Là où Bill et Passe-Partout se distinguent

Trop tard

La tête de méduse

Deux vieilles connaissances

Où tout le monde se retrouve

Le jugement de Dieu

Épilogue

Des livres captivants

Mot de la fin



Note à propos de la couverture : L’image représente des étudiants dans la vingtaine, de Natalimar / Dreamstime.com


Trahison



Lafleur et Cardon s’amusèrent beaucoup de cette exclamation un peu prétentieuse. Mais Després, lui, eut un singulier tressaillement. Il regarda l’enfant avec des yeux étonnés, et sa main se posa sur son front, comme si une idée nuageuse cherchait à en jaillir.


Apparemment que cette idée lui parut folle, car il hocha bientôt la tête et poursuivit :


Je vivais donc dans la plus grande sécurité et sans la moindre appréhension du côté de Lapierre. Quant à ma fidèle Louise, j’aurais cru commettre une profanation en la soupçonnant. Et d’ailleurs, elle se montrait toujours pour moi si prévenante, si gracieuse, si aimante, que c’eût été vraiment folie de lui prêter des idées de trahison.


C’est sous ces riantes circonstances que je dus, vers la fin d’août, faire une absence de trois ou quatre jours pour aller régler certaines affaires à Saint-Jean.


Je partis en canot, après avoir reçu de Louise les plus chaudes recommandations de ne pas être longtemps dans mon voyage, et du bon Lapierre les meilleurs souhaits.


La descente du Richelieu se fit en quelques heures, et, à la nuit tombante, j’arrivais à destination.


Mes affaires furent bâclées plus rapidement que je ne m’y attendais, et, dès le lendemain, je pus effectuer mon retour.


Je laissai Saint-Jean dans l’après-midi. Le temps était beau. Pas un souffle de vent ne ridait la surface calme et unie du fleuve. Je pouvais donc compter, en ramant ferme, que j’arriverais à Saint-Monat dans le courant de la soirée.


En effet, vers dix heures, je n’étais plus qu’à un mille environ de chez moi. Quoiqu’il n’y eût pas de lune et que le ciel fût assez sombre pour empêcher les étoiles de rayonner librement, je pouvais cependant distinguer l’îlot qui se détachait du fleuve comme une tache noirâtre sur une plaque d’acier bruni.


Je suivais alors la rive gauche d’assez près, afin d’éviter le courant des eaux profondes. Je ne pouvais conséquemment rien distinguer de ce côté-là, à quelques arpents devant moi, à cause des sinuosités de la berge.


Soudain, en doublant une pointe, je vis briller une lumière dans un endroit bien connu, au fond d’une petite baie où se déchargeait le bras de rivière déjà décrit.


– C’est là ! me dis-je, tandis qu’une émotion bizarre tenait mon aviron immobile. Et, pendant plus de cinq minutes, je restai les yeux fixés sur ce point lumineux rayonnant seul au milieu de l’obscurité ! Un sentiment d’angoisse indéfinissable me serrait la gorge, quelque chose comme un pressentiment mystérieux, comme l’appréhension d’un malheur !


L’image de Louise, de ma Louise adorée que je n’avais pas vue depuis deux jours, se présenta à mon esprit troublé, et cette évocation me causa une impression étrange. Je la revis, comme en cette soirée fatale et heureuse où je la sauvai de la mort, lutter contre les vagues qui s’ouvraient pour l’engloutir. Mais, au lieu de mon bras, c’était celui de Lapierre qui l’arrachait au gouffre béant. Et Lapierre me saluait d’un geste moqueur, puis filait rapidement dans son canot, sur le fleuve tourmenté, en me jetant un éclat de rire sardonique !


Cette dernière image me secoua comme un cauchemar, et plongeant énergiquement mon aviron dans l’eau, je fis voler mon canot dans la direction de la baie.


Dans quel but ? Et pourquoi allonger ainsi ma route ?


Je ne pouvais me l’expliquer. Je me sentais poussé invinciblement vers la petite lumière. Elle m’attirait comme un puissant aimant. Elle m’aspirait comme le terrible maëlstrom des côtes de Norvège.


Le ciel était devenu plus sombre, et je pouvais à peine distinguer à vingt pas en avant de la pince de mon canot. Je filais toujours quand même, guidé par le foyer étincelant qui se rapprochait à vue d’œil. Comme s’il se fût agi d’une reconnaissance en pays ennemi, je plongeais en silence mon aviron dans l’eau tranquille, ne la laissant même pas toucher le rebord de l’embarcation.


Tout à coup, une obscurité plus profonde se fit à quelques pas de moi, et mon canot s’engagea doucement dans les ajoncs, fila quelques secondes en les frôlant, puis s’arrêta.


J’étais arrivé.


Et par un singulier hasard, je me trouvais justement dans une petite crique du bras de rivière, ombragée de massifs très épais, et à une vingtaine de pieds tout au plus de la fenêtre illuminée, qui était celle de la chambre de Louise.


Je demeurai là immobile, fixant de mon regard ardent cette fenêtre bien-aimée, derrière laquelle devait se trouver ma douce fiancée. J’espérais entrevoir la charmante silhouette de la jeune fille. Je lui dirais alors mentalement adieu, puis je prendrais ma course.


Mais rien ne bougeait dans la chambre, et j’en conclus que la pieuse Louise adressait à Dieu sa prière accoutumée, avant de se mettre au lit.


La chère enfant, murmurai-je, elle dit peut-être, à cette minute précise où je suis à deux pas d’elle, un pater et un ave pour que son bon ami Gustave lui revienne sain et sauf.


Amère ironie de ma pensée !


Je n’avais pas finie cette réflexion émue, qu’un bruit étouffé de conversation à voix basse me parvint.


J’éprouvai comme une secousse galvanique et me rapprochai, en me glissant silencieusement à travers le feuillage, de l’endroit d’où semblaient partir les chuchotements.


Ce fut l’affaire d’une minute. Quand je fus assez près pour être sûr de ne pas perdre une syllabe de la conversation mystérieuse, j’écartai doucement le feuillage et je regardai.


À cinq ou six pas de moi, près de la maison, il y avait un homme et une femme. L’obscurité m’empêchait de distinguer leurs traits, mais mon cœur, qui battait à se rompre, les reconnut, lui.


L’homme était Lapierre. La femme, Louise, ma fiancée ! Leur voix, qui se fit entendre au même moment, ne me laissa aucun doute à cet égard.


Ainsi, j’étais trahi ! trahi par la femme que j’aimais le plus au monde, qui m’avait juré une inviolable fidélité et que j’avais arrachée, deux mois auparavant, à une mort certaine ! Trahi par l’homme qui me devait aussi la vie, par l’homme dont la bouche hypocrite me disait, la veille même, des paroles d’amitié, par le confident qui avait reçu tous les secrets de mon cœur !


C’était trop à la fois, et le coup qui m’atteignait en pleine poitrine était porté trop soudainement ! Un flot de sang me monta aux yeux et je dus me cramponner désespérément à un arbre, pour ne pas tomber.


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