Les Mémoires de P. A. de Gaspé
M. Philippe Aubert de Gaspé est le dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli. Bien qu'il ait commencé à écrire à un âge avancé, il eut un grand succès.
Il est un conteur-né, disait-on. Auteur de Les Anciens Canadiens, voici maintenant ses Mémoires, dans le but de laisser à la postérité les détails de la vie dans le bas-Canada, à cette époque.
Sommaire
Mémoires du seigneur de Saint-Jean-Port-Joli
Conte de ma grand-mère : Le coin Fanchette
Ma naissance
Un petit animal rare
Je suis malade
Le duc de Kent à l’Isle d’Orléans
Le Duc de Clarence à Québec
Le cottage Sans Bruit
L’Hôpital-Général
Le mensonge
La punition des crimes
Un visiteur
Les récollets
On les aimait
Une autre réception
Qui a cassé la vitre ?
Des oeufs à la tripe
Le chien des récollets
Louis XVI assassiné
Mes deux oncles
Le général vicomte de Léry
Gracier les nobles coupables d’homicides
L’intendant Bigot
Les Anglais se moquent des Canadiens
Le mariage empêché
Une anecdote
Le général Prescott
Indisciplinés
Chez les Chôlette
Une bête curieuse
Coq Bezeau
Une lettre du général Thompson
Mes premiers six mois à Québec
McCarthy, un ennemi redoutable
Les enfants s’amusent de tout
Dans la maison maternelle de Lafleur
Au château de Belle-Vue
Le lac Trois-Saumons
Légende du père Laurent Caron
Les calomnies publiées
Le docteur Pierre de Sales Laterrière
L’honorable Louis-Joseph Papineau
Joseph Painchaud
L’honorable juge en chef Rémi Vallière de St. Réal
Louis Plamondon
Louis Moquin
Au barreau de Québec
Justin McCarthy
Calomnier le sexe féminin
Mes études de droit
Le major Pierre LaForce
Les patriotes emprisonnés
Le journal Le Canadien
Le gouverneur sir James Henry Craig
Les fêtes champêtres du gouverneur Craig
Mon excursion sur le lac Champlain
La batture aux loups-marins
Histoire de Chatigny
Légende sur Chatigny
Le lac Trois-Saumons pendant l’hiver
Légende du père Romain Chouinard
Le père Romain Chouinard
M. de Salaberry
Châteauguay de Salaberry
Mon cours de philosophie en anglais
Marguerite de Lanaudière
Le solitaire
Seigneur et censitaire
Le Lauzon
Les marionnettes
Conclusion
Mot de la fin
Des livres captivants
Note à propos de la couverture : Photo de la forteresse du vieux Québec, de Filtv / Dreamstime.com
Ma naissance
Le lecteur me pardonnera donc de me présenter à lui, le jour même de ma naissance. Le 30 octobre de l’année 1786, dans une maison de la cité de Québec, remplacée maintenant par le palais archiépiscopal, un petit être bien chétif, mais très vivace, puisqu’il tient aujourd’hui la plume à l’âge de 79 ans, ouvrait les yeux à la lumière.
Après avoir crié jour et nuit pendant trois mois, sans interruption, sous le toit de sa grand-mère maternelle, veuve du chevalier Charles Tarieu de Lanaudière, le petit Philippe Aubert de Gaspé fut transporté à Saint-Jean Port-Joli, dans une maison d’assez modeste apparence, ayant néanmoins la prétention de remplacer l’ancien et opulent manoir que messieurs les Anglais avaient brûlé en 1759.
Je ne puis expliquer pourquoi j’ai souvenance de ma grand-mère paternelle avant celle de mon père et de ma mère. Serait-ce parce que la vieille dame, ayant disparu tout à coup laissa un vide dans mon existence ?
Je ne me rappelle en effet mon père et ma mère que le jour que je les vis agenouillés près du corps de ma grand-mère. Je devais ignorer la mort, et j’ai cependant conservé l’impression que ce corps inanimé, recouvert d’un drap blanc, était celui de mon aïeule paternelle, et que je ne la reverrais plus.
Je trouvais la vie pleine de charme pendant mon enfance, ne m’occupant ni du passé ni encore moins de l’avenir. J’étais heureux ! Que me fallait-il de plus ! Je laissais bien, le soir, avec regret tous les objets qui m’avaient amusé, mais la certitude de les revoir le lendemain me consolait. Aussi étais-je levé dès l’aurore pour reprendre les jouissances de la veille.
Je me promenais seul, sur la brune, de long en large dans la cour du manoir, et je trouvais une jouissance infinie à bâtir de petits châteaux en Espagne. Je donnais des noms fantastiques aux arbres qui couronnent le beau promontoire qui s’élève au sud du domaine seigneurial.
Il suffisait que leur forme m’offrit quelque ressemblance avec des êtres vivants pour me les faire classer dans mon imagination. C’était une galerie complète composée d’hommes, de femmes, d’enfants, d’animaux domestiques, de bêtes féroces et d’oiseaux.
Si la nuit était calme et belle, je n’éprouvais aucune inquiétude sur le sort de ceux que j’aimais, mais au contraire si le vent mugissait, si la pluie tombait à torrent, si le tonnerre ébranlait le cap sur ses bases, je me prenais alors d’inquiétude pour mes amis. Il me semblait qu’ils se livraient entre eux un grand combat et que les plus forts dévoraient les plus faibles. J’étais heureux le lendemain de les trouver sains et saufs.
Un beau jour, je me trouvai transporté comme par enchantement dans la cité de Québec. Je devais être bien jeune, car je ne sais comment je fis le voyage. Je suis sur la place d’armes et je vois manoeuvrer un régiment. Celui de son Altesse Royale, le Duc de Kent, père de notre gracieuse souveraine la reine Victoria.
On me montra, sans doute, le Prince. Mais comme je jugeais alors les hommes, comme le font beaucoup d’autres aujourd’hui, sur le plus ou moins de bruit qu’ils font, le gros tambour et surtout le grand nègre, qui agitait deux plats d’acier au-dessus de sa tête en les frappant l’un contre l’autre en cadence, furent les deux seuls acteurs de ce spectacle si nouveau pour moi qui attirèrent toute mon attention et dont je me rappelle aujourd’hui.
Au dire de mes parents, j’étais, comme de droit, un prodige de mémoire, pendant mon enfance. Quant à l’esprit, j’en fais grâce aux lecteurs. Dès l’âge de six ans, je savais par coeur toutes les fables du bon Lafontaine, je connaissais toutes les villes du monde, la Chine, je crois même, y comprise, et je savais assez de traits d’histoire pour désespérer les pédants les plus ferrés. Lady Simcoe, qui passait pour un bas-bleu*, dit un jour à ma mère :
– De grâce, amenez-moi votre fils, quand vous viendrez prendre le thé ce soir. On me dit que c’est un savant.
(*Ce n’est pas rendre justice à Lady Simcoe, femme du général qui fut Gouverneur du Haut-Canada, que de la classer parmi les bas-bleus. Elle avait au contraire des goûts littéraires distingués. Ma tante Baby n’ayant un soir d’autre livre à lui prêter que le petit carême de Massillon, Lady Simcoe, quoique protestante, fut si enchantée de ce chef-d’oeuvre qu’elle déclara vouloir lire tous les sermons de nos grands prédicateurs. Et les Bossuet, Bourdaloue, etc. firent ensuite ses délices.)
Mots clés : Philippe Aubert de Gaspé, Notre premier roman Québécois, Saint-Jean-Port-Joli, St-Jean-Port-Joli, manoir de la seigneuriie, Les anciens Canadiens, Nouvelle-France, Anglais au Canada, duc de Kent, basse-ville et haute-ville de Québec, Récollets, Séminaire de Québec, anglais-français-canadien
sur Amazon
sur Amazon