Trois légendes de mon pays
 

TROIS LÉGENDES DE MON PAYS 

ou

L'évangile ignoré, l'évangile prêché, l’évangile accepté


—  L'histoire de L'Ilet au Massacre, la première par ordre de temps, nous montre, touchant à son paroxysme, l'état de féroce barbarie dans lequel étaient plongés les aborigènes de l'Amérique du Nord, avant l'arrivée des missionnaires.


  —  Le Sagamo du Kapskouk nous fait assister à cette lutte tempétueuse qui se fit dans la nature insoumise des Sauvages, lorsque leur fut exposée la doctrine catholique, avec l'alternative de ses promesses magnifiques et de ses menaces terribles.


—  Le Géant des Méchins c'est la dernière étreinte de l'erreur aux prises avec la conscience, et le triomphe final de la Religion.

2. L’alarme



On se laissait vivre ainsi, demi-rêvant à part soi, demi-jasant de ce ton lent et tranquille qui caractérise la causerie de famille chez les Sauvages, lorsque deux des jeunes hommes du parti des écorces, arrivant de la forêt, jetèrent, au milieu de ce calme et de ce bonheur, la fatale nouvelle que, la veille au soir, un parti ennemi n'était qu'à une journée de marche de la bourgade !


Les guerriers, se redressant dans leur force et leur dignité sauvages et maîtrisant leur émotion, se contentèrent de répondre avec dédain :


Almouts ! Les chiens !


La troupe des faibles poussa un cri de terreur !


Les femmes et les jeunes filles, entourées des enfants qui se pressaient sur elles, les jeunes mères, serrant sur leur sein les petits des nâganes, se précipitèrent, en pleurant, dans les cabanes, comme pour y chercher un refuge.


Pendant que ces frêles demeures, un instant auparavant si calmes, retentissaient des sanglots de ces malheureux, les guerriers, auxquels incombait la tâche de les défendre, ayant à leur tête les anciens, se consultaient sur ce qu'il y avait à faire en une telle conjoncture.


Le parti ennemi avait semblé nombreux. Il suivait un grand chemin de plaques conduisant directement au village. C’était une route commune et constamment fréquentée. Selon les calculs des courriers il devait atteindre, le soir même et de bonne heure, la Baie du Bic.


Les gens des écorces étaient restés dans les bois, pour surveiller les envahisseurs et donner avis de leur approche quelques heures à l'avance.


Que faire ? 


Huit heures à peine séparaient le moment actuel de celui où le cri de combat devait retentir !


L'ennemi venait à travers bois :  —  un expédient eût donc été certain ; c'eût été de descendre le fleuve en canot, et d'aller rejoindre les frères de Matane. Mais pour exécuter ce plan, il eût fallu une embarcation pour chaque famille, et toute la bourgade ne possédait, en ce moment, que cinq vieux canots, réparés pour l’usage journalier d'une situation comme celle dans laquelle se trouvaient les Micmacs une heure auparavant.


La fuite par terre, avec les vieillards, les femmes et les enfants, en présence d'un parti de guerre, était impossible.


La première chose que l'on fit, sans perdre de temps, fut d'équiper les cinq canots et d'expédier, avec des provisions abondantes, vers le bas du fleuve, sous la conduite de quelques vieillards, les femmes enceintes, les petits enfants à la mamelle et leurs mères.


En tout à peu près trente personnes, les plus faibles et les plus dignes de pitié, qu'on soustrayait ainsi aux angoisses du moment et aux dangers de l'avenir.


Cela fait, il ne restait plus qu'à prendre la résolution de vaincre, ou de mourir en vendant chèrement sa vie. Telle fut aussi la détermination prise, à la suite de laquelle on se mit à imaginer les préparatifs d’une résistance désespérée.


Pendant que ceci se passait au sein de la malheureuse population, l'ennemi s'avançait, avec précaution, mais avec rapidité, à travers une route bien frayée, traversant un pays accidenté, mais de facile accès, ne présentant sur le trajet suivi ni lac, ni rivière considérable capables de causer de graves embarras.


Le plus difficile du chemin se rencontrait dans le voisinage immédiat de la Baie. Mais là, des sentiers, circulant dans les coulées des montagnes et convergeant vers la bourgade, sentiers que suivaient tous les jours les Micmacs allant au bois quérir ce qui leur était nécessaire, offraient à l’ennemi, non seulement un facile moyen d'arriver, mais encore des avantages incalculables pour les combinaisons d'une attaque comme celle qu'il méditait.

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