Le mystère de la chauve-souris
 

Napoléon est nouvellement arrivé au pouvoir. Il n’a pas que des amis, au contraire.


Voyez les descendants de la Révolution qui veulent remettre la République en place ou encore la royauté.


Ces gens habitent la Bretagne sur la presqu’île de Crozon.


Suivez les péripéties qui les amènent à une autre étape de leur vie, cette fois, fort différente.


Auriez-vous deviné qui était la chauve-souris et le rôle qu’elle a joué dans cette intrigue ?

Sommaire



Introduction

Chez les Troadec

L’araignée

L’ombre du gouffre

L’incendie sous les cendres

Une croix sur un menhir

Sur la même piste

Une âme de patriote

La chauve-souris au gîte

La recherche du trésor

Le noeud de la conspiration

La messe des damnés

L’attaque de la diligence

Lutte de colosses

La mort froide

La tour de Camaret

Le sphinx à tête de mort

Dans la toile d’araignée

L’exécution

Sous les ailes de la chauve-souris

Conclusion


L’araignée



De derrière une table près du mur du fond, une forme émergeait lentement.


Le chevalier commença de distinguer, sous l'ombre d'un grand chapeau de feutre rond, entre de longs cheveux noirs à peine semés de mèches blanches, une figure osseuse, à la barbe de quelques jours, que divisait par le milieu un nez luisant courbé en bec d'acier sur des lèvres minces, et, ombragés par l'arcade proéminente des sourcils, de petits yeux vifs qui le guettaient comme du fond d'un buisson.


Il ondula des épaules sous un frisson de malaise involontaire et inexplicable, grommelant :


— Quel diable de museau de chouan est-ce là ?


Très maigre, d'une sécheresse invraisemblable, presque momifié, n'ayant qu'une ossature sur laquelle étaient tendus des nerfs semblables à des cordes d'acier, un homme se dressait, quittant le banc de bois sur lequel il était assis.


Il s'avança vers la cheminée, le dos un peu bombé s'arrondissant sous une casaque de drap roussi, couleur des voiles de barques, les cuisses enfermées dans une culotte de grosse toile bouffante à plis serrés, les genoux nus saillant hors de jambières tournant autour de mollets absents, traînant de lourds sabots ferrés pleins de paille, et s'aidant d'un penn baz attaché au poignet par une lanière de cuir.


Il poursuivait d'une voix rocailleuse et heurtée qui sonna sauvagement :


— Il n'a point cependant par chez nous, la réputation d'un citoyen disposé à se laisser faire, ce Bonaparte. Il y en a pas mal, et des plus mauvaises têtes, qui l'ont appris à leurs dépens. Les grands noms, ça ne lui fait pas peur, qu'on assure, monsieur le Chevalier !


Les flammes agiles et pénétrantes des prunelles du Parisien se heurtèrent, sans pouvoir plonger plus avant, à la surface morne et opaque des yeux du paysan, qui était venu se placer, en face de lui, de l'autre côté de la cheminée et montrait une face de granit, aux plis immobiles, à la physionomie apathique, indéchiffrable.


— Dans le monde dont je fais partie, nous n'avons pas de raisons de l'aimer, le général Buonaparte ! laissa tomber avec une certaine négligence le chevalier, jetant les mots lentement comme s'il eût fait filer un plomb de sonde pour s'assurer des eaux dans lesquelles il naviguait.


Et il avait accentué significativement, à l'italienne, le nom du Premier Consul.


Aucune lueur révélatrice n'ayant miroité dans les yeux de Tonton Maõ, son interlocuteur changea aussitôt de ton et conclut avec une apparente désinvolture que démentait la fin de sa tirade :


— Pour moi, ça m'est égal, je ne m'occupe que de vieilles pierres, de vieux monuments, de choses anciennes, et la politique ne m'intéresse pas. Cependant, je ne puis pas blâmer ceux qui ont des motifs sérieux, des motifs de race, de religion, de famille, pour lui préférer...


Avant qu'il eût achevé sa phrase et complété sa pensée, la porte, s'ouvrant toute grande sous un poing solide, livra passage à une sorte de géant aux larges épaules, aux cheveux roux grisonnants, courts et frisés dont les yeux bleu de mer mettaient comme des fenêtres ouvertes sur l'espace dans une peau tannée, couleur de cuivre rouge.


— Kornéli, te v'là déjà de retour ! s'exclama Corentine.


— Oui, la côte est déblayée en grand, et nous serons débarrassés des curieux, grâce au gros temps, à la brume, à tout le tremblement de la mer et du vent ! Mais ce n'est qu'un coup de suroît qui passe avec la marée et qui s'en ira avec elle. Aussi, cette nuit, on va pouvoir...


Il s'interrompit brusquement et resta bouche ouverte, en rencontrant fixés sur lui, impératifs, les yeux du paysan, curieux ceux de l'inconnu, suppliants ceux de sa femme, puis bégaya, se ressaisissant :


— Enfin, me v'là à meilleure heure que je ne pensais, avec les petits, quoi ! tous en bonne santé ! On est revenu, on est content et on va souper de fameux appétit !


Il se retourna pour crier dans la nuit :


— Oh ! diable ! Avancez donc, vous autres. Il fait plus doux ici que dehors, vu qu'on est en plein dans les mois noirs !


Les petits entrèrent à sa suite, se dandinant lourdement sous le poids de leurs bottes de mer.


D'abord Alcide, l'aîné, ayant les six pieds de haut de son père, aussi fort, aussi large de poitrine, l'air placide et doux sous des cheveux blonds, ne paraissant pas ses trente ans révolus.


Hervé, autre colosse, châtain clair celui-là, l'oeil brun, avançait une face violente rougie par le sel des embruns de l'Océan, des bras herculéens aux poings énormes. La haute taille, la carrure épaisse de Loïz supportaient, sur un cou gros comme un mât, une tête ronde couverte d'une masse de cheveux noirs, et des yeux de goudron, brillant sous la double barre de sourcils touffus, complétaient sa ressemblance avec sa mère.


Yves, plus ramassé, n'avait pas la stature gigantesque de ses trois aînés et de son père. Il se rattrapait en largeur. Avec l'acajou sombre de ses longs cheveux et de sa barbe naissante, ce même reflet de feu qui s'allumait en lueurs rapides dans ses prunelles trahissait une certaine facilité à la colère.


Les vingt et un ans de Yan se voyaient dans sa sveltesse, sa peau plus blanche que celle de ses frères. Des nerfs d'acier soutenaient cette charpente qui n'avait pas encore atteint son complet développement et des yeux clairs illuminaient sa figure franche.


Châtain aux prunelles grises, du gris breton des jours de brume, Alan, le suivant, souple, merveilleusement proportionné, paraissait plus petit qu'il n'était réellement à côté des géants ses frères, mais le granit de ses muscles valait celui des côtes de Bretagne.


Le dernier, Pierrik, le mousse, cheveux roux et oeil vert d'Atlantique, c'était Kornéli Troadec, tel qu'il devait être à douze ans.


Quand les petits, comme les appelait leur père, furent tous entrés, la salle, bien qu'assez vaste, sembla pleine. Puis, une fois le voyageur présenté aux nouveaux arrivés, chacun s'installa à sa guise autour de la table principale, buvant, mangeant à grand bruit.


Immédiatement le chevalier de l'Espervier avait lié connaissance intime avec les pêcheurs, s'enthousiasmant pour la mer, pour tout ce qui les intéressait, riant plus fort qu'eux, les faisant causer sur le pays, sur les écueils, sur les grottes, accompagnant ses questions et ses observations de la perpétuelle gesticulation de ses bras et de ses jambes.


Fière de ses grands fils, de son colosse de mari, Corentine Troadec allait de l'un à l'autre, servant le souper, apportant au milieu de ces géants joyeux, la clarté de son visage blanc, dont les yeux noirs brillaient, dont les cheveux restés noirs luisaient en ailes de corbeau sous le blanc papillonnement de sa coiffe.


Peu à peu, remise de ses inquiétudes primitives et vagues, elle s'abandonnait à cette gaieté communicative, riant la première des boutades du chevalier qui, plein de bonhomie, d'entrain, semblait trouver d'instinct tous les mots, toutes les plaisanteries pouvant le mieux égayer ces âmes simples et naïves.


Seul Tonton Maõ, resté à l'écart à une petite table, comme engourdi, demi-somnolent, ne prenait aucune part à la conversation; les coudes sur les bois de la table, la tête dans les mains, les yeux fixés devant lui, il suivait les ombres, courant tantôt sur les murs, tantôt au plafond, images naturelles et mouvantes projetées par la lumière des résines flambant sur la grande table.


Ayant remarqué la direction persistante de ses regards, Corentine, à un moment où elle arrivait derrière lui, regarda à son tour.


Le long des murs, sur le plafond, autour des formes colossales de son mari, de ses fils, à chaque instant passait la silhouette grêle et mince du chevalier de l'Espervier, de ses bras en continuel mouvement.


Et très nette, durant quelques secondes, elle eut la vision d'une immense araignée, semblable à celle dont parlaient les marins du pays qui avaient été aux Amériques, cette araignée monstre prenant dans ses rets jusqu'à ces oiseaux-mouches.


Elle était là, tissant une toile invisible, qui, petit à petit, enveloppait de fils de plus en plus serrés, d'un réseau de plus en plus épais, Kornéli Troadec et ses sept grands gars !

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